Première affiche « historique », Suisse romande, printemps 2002:
1h40, divisé en 2 parties égales de 50′, commenté de vive voix
Réalisation: Claude Marthaler
Sélection musicale: Bertrand Soulier
Montage technique: Stephan Pfander
Le chant des Roues
La planète est si belle et fragile dans l´oeil d´un vélo, la mémoire si poreuse, l´appareil photo et la langue si imparfaits, que je tremble à l´idée de trahir le monde dans sa diversité et son essence même.
Les quelques 600 images de mon diaporama révèlent donc avant tout mes émotions d´une longue errance à travers l´Europe, l´Asie, les Amériques et l´Afrique. Car en voyage, les émotions pèsent plus que mon yak de 80 kg. C´est avec lenteur, érodant la lourdeur de l´exotisme et des idéologies, franchissant les frontières que j´ai mesuré le pouls de la planète comme un sysmographe sensuel.
Mais au retour, que reste-t-il d´un tel voyage ? Des amitiés et des amours, des fragments de route en forme d´ histoires à dormir debout, à pédaler comme un fou, des histoires humaines, tristes ou drôles, singulières. D´un hiver au froid mordant du Kirghizistan aux cols à plus de 5000 m. du Tibet, du désert du Taklamakan à l´Altiplano bolivien, de la forêt équatoriale du Congo aux chaînes de l´Atlas du Maroc, les paysages et les rencontres ont perdu toute chronologie pour former un kaléidoscope, comme dans un rêve.
Ce sont ces instants indescriptibles qui, au bout d´une longue route, valent l´éternité, ce hasard auquel je ne peux plus croire, cette énergie que j´ai tiré parfois dont je ne sais même pas où, cette ligne magique que j´entends encore résonner sur le visage de la terre, comme un microsillon géopoétique…. C´est à ce voyage-là que j´aimerais vous inviter, car comme disent les Indiens : « Ce qui n´est pas donné est perdu. »
Il n’ y a pas de chemin, le chemin se fait en pédalant. Si l’on ne part jamais de rien , mais toujours de chez soi, c’est également là où l’on arrive, pour autant que l’on en revienne, physiquement ou mentalement. Après tout, les gens heureux n’ont-ils pas plein d’histoires ?
A 44 ans, j’avais vécu un quart de ma vie à parcourir le monde à bicyclette, existé en nomade de luxe, improvisant mon chemin sans autre carburant que ma sueur et moteur que ma curiosité. Au terme d’un exil volontaire, d’un cycle de 7 ans, il me restait à extraire le levain de mon trésor, à coucher mes émotions en mots, en images pour distiller l’âpreté comme la joie empruntées aux poussières de la route. Je me retrouve tout soudain plus esseulé que jamais,étrangement immobile fragile et trapé entre quatre murs en dur , presque absent et étranger à moi-même. Le voyage n’a-t’il été qu’un songe ?
A défaut d’avoir trouvé une place (au voyageur, l’enfer est souvent l’endroit), je poursuis mon petit bonhomme de chemin, creusant mon sillon à l’image d’un vélo qui contient le plus beau des anagramme love, l’amour.
Jamais au cours de ma vie, je n’ai été aussi fidèle à moi-même que pendant ce voyage. Aujourd’hui, j’ai l’immense privilège de vivre entièrement de ma passion, l’honneur de dire à la façon d’un conteur, l’insoutenable légèreté d’une bicyclette, de métaphoriser le monde, de mettre à vie ses odeurs étonnantes. Je repense toujours à cette enfance qui si j’osais la quitter me reviendrait à chaque crissement de pneu comme le ressac de la mer. Lorsque mon guidon aligne mon âme sur mes deux roues et, en écriture automatique, ne se prive jamais de vivre un Kama-Sutra planétaire. Enfant, je voulais être clown ; la bicyclette, elle, m’a transformé en cyclonaute. Enfant, on me disait toujours : « Arrêtes de raconter des histoires ! ». Pourtant, depuis que je suis rentré , je ne fais que raconter des histoires. Merci la vie!