Les aventurières à vélo / Hélène Dutrieu, la cycliste à tire-d’ailes
Publié le 03/12/2024
À la fin du 19e siècle, l’invention du vélo a grandement contribué à l’émancipation des femmes. À une époque où elles n’avaient pas le droit de vote et étaient principalement confinées aux rôles de mères et de ménagères, le vélo leur a offert une liberté sans précédent. Le documentaire Les aventurières du vélo met en lumière des pionnières audacieuses, telles que la Belge Hélène Dutrieu, qui ont défié les normes établies pour ouvrir le cyclisme aux femmes.
Retrouvez Les aventurières du vélo ce samedi 7 décembre à 20h30 sur La Trois et en streaming sur Auvio. Rediffusion en direct le 16 décembre à 22:15
L’émission rendra hommage à quelques-unes d’entre-elles dont j’évoque le destin dans mon livre A tire-d’Elles, Femmes, vélo et liberté : Annie Londonderry, 1894 ou le premier tour du monde féminin à vélo(1870-1947) en pp. 142-147, Alfonsina Strada, L’irréductible pistarde (1891-1959) en pp. 214-219 et ce portrait d’Hélène Dutrieu (1977-1961) en pp. 88-91, que je vous donne à lire:
Hélène Dutrieu, la cycliste à tire-d’ailes
Le vélo lui a donné des ailes. La grande Hélène est une fée de son siècle. Née en 1877 d’un père officier à Tournai en Belgique, elle manie le guidon et le manche à balais avec la même fougue. Sa petite taille n’a d’égale que sa pétulance, ses amis l’appellent « quart de Vichy ».
Deux trois choses que l’on sait d’elle : Hélène abandonne l’école à l’âge de 14 ans pour gagner sa vie. Quatre ans plus tard, encouragée par son frère Eugène, le hardi bout de femme participe à de nombreuses courses sur piste, les seules existantes alors, en marge de la compétion masculine.
À la fin des années 1870, les premières courses cyclistes réservées aux femmes sont suivis par la presse et c’est tout naturellement qu’Hélène s’y lance corps et âme. Rien ne l’arrête. En 1895, cette cavalière sans peur et sans reproche, n’en a que faire du quand dira-t-on. La Reine des vélodromes ne ressemble en rien à une artiste de cirque, à « une fille de mauvaise vie » ni même à la senseulle cycliste nue sur la fameuse affiche « Gladiator »(~1895). Très vite, elle gagne : « Hélène Dutrieu semble être la première à avoir atteint les 40 kilomètres sur une heure derrière entraîneur ce qui constitua à l’époque un officieux record du monde de l’heure.En 1897 et 1898 elle remporte les tout aussi officieux championnats du monde de vitesse des femmes à Ostende, en Belgique. En août 1898 Hélène s’impose également dans le Grand Prix d’Europe. En novembre 1898 elle gagne ‘the 12 days race’ (course de 12 jours) à Londres. Léopold II, Roi des Belges montra en cette occasion qu’il était un homme en avance sur son temps, en considérant que les femmes comme les hommes pouvaient être reconnues et honorées pour leurs qualités sportives. Il attribua en effet à Hélène Dutrieu, la Croix de Saint André, haute distinction belge embellie de diamants en l’honneur de son succès. Décorée par son Roi, double championne du monde, Hélène considéra dès lors qu’elle avait fait le tour des possibilités que pouvait lui offrir le cyclisme de compétition. Ayant toujours la bougeotte, elle rêve déjà d’autres cieux alors elle gagne Paris où elle souhaite faire une carrière de comédienne »1.
Sa seconde vie rappelle celle d’Alfonsina Strada, sa cadette de 14 ans, qui tout comme elle s’improvisera à vélo et à moto acobatique dans « la roue de la mort ». Mais un looping en cage ne suffit plus à notre diablesse qui dès lors l’effectuera en plein air. On l’appelle désormais la « flèche humaine ». Entre 1904 et 1907, on retrouve cette téméraire touche-à-tout participant aux courses automobiles.
La femme d’action s’est appliquée à suivre sans le savoir la devise olympique du baron mysogyne Pierre de Coubertin: Citius, Altius, Fortius, « Plus vite, plus haut, plus fort » (1894). Le moteur d’accord, mais de la hauteur ! Sa troisième vie démarre alors furieusement, cinq ans seulement après le premier vol motorisé et contrôlé d’un aéronef par les frère Wright (1905), ses inspirateurs (et d’anciens fabricants de bicyclette!). À 31 ans, pilote d’essai improvisée, Hélène « s’envoie en l’air », à bord de la «Demoiselle», un petit avion fraîchement conçu. Une femme, légère (50 kilos), pense le constructeur, correspondant au frêle coucou, tout en offrant une excellente publicité. Hélène rate son atterissage et l’anéanti, elle s’en tire miraculeusement avec une peur bleue… et sans une seule égratignure !
Malgré cette bévue, l’intrépide Hélène n’en démord pas : le 9 avril, elle bat le record du monde féminin de distance, un vol de 45 km en 40 minutes entre Belfied aux Pays-Bas et Bruges en Belgique. Plus tard, la wonder woman aurait même défrayé la chronique en volant en sous-vêtements… (et sans licence de pilote, l’époque n’en réclamait tous juste pas encore).
En avril 1910, la surnomée the girl hawk , la« femme-faucon », elle effectue un vol à bord d’un zinc d’un bien plus gros calibre. La baltringue se prend une cheminée au meeting d’Odessa et détruit « son » deuxième avion, au grand dam du propriétaire ! Elle passe enfin, officiellement, son brevet de pilote. Désormais seule femme dans un milieu masculin où la mort s’invite souvent, elle est La star, au firmament de tous les meetings aériens. À Hasselt et à Blankengerge en Belgique, elle emmène même son mécanicien Béaud (une première mondiale). Son vol non-stop au-dessus de la campagne de Ostende à Bruges en septembre lui en vaut une deuxième, de première mondiale ! Le 5 décembre 1910, elle gagne la coupe Fémina, parcourant 60 kilomètres 800 en 1 h 09 minutes puis remporte la remporte à nouveau en 1911, avec un vol de 254 km 800 en 2 h 58. L’année 1911 la voit pilote professionnelle chez Maurice Farman, bénéficiant d’une flotte d’avions et d’incroyables privilèges. Elle triomphe à la Coppa Del Re (Coupe du roi) à Florence, une course d’endurance, devant 13 concurrents masculins pourtant chevronnés. Elle réitère des exploits aux États-Unis. Un an plus tard, elle est la première femme à voler en hydro-aéroplane, sur le lac d’Enghien dans le Val d’Oise.
Seule la grande guerre met fin à sa brillante carrière en 1914. Hélène sert alors au front comme ambulancière de la Croix Rouge française puis participe à des conférences de propagande aux États-Unis les deux années suivantes. En 1917, elle regagne la France et dirige l’hôpital de campagne du Val de Grâce.
La paix revenue, Hélène entame sa quatrième vie, en embrassant une carrière de journaliste. À 45 ans, elle épouse Pierre Mortier, journaliste, écrivain et député qui moura en 1946. Elle se consacre alors à la promotion de l’aviation, féminine en particulier. Elle crée la coupe Hélène Durieu-Mortier, dotée de 200.000 Francs de prix pour l’aviatrice qui, seule à bord de son appareil, parviendrait à parcourir la plus grande distance en ligne droite sans escale.
Le parcours sans-faute de cette grande Dame, cycliste puis pilote émérite, fut récompensé en France par la Légion d’Honneur (une rareté pour une Belge !) et en Belgique par le titre d’Officier de l’Ordre Léopold. Hélène Dutrieu meurt à Paris le 25 juin 1961, âgée de 84 ans.
Claude Marthaler
1 idem
Une biographie parue en 2024
Livre paru en 2022