Le vélo sauvera le monde

Publié le 11/12/2018

Le samedi 8 décembre 2018, j’animai le Café philosophique aux Bains des Pâquis (Genève) sur le thème imposé de « Le vélo sauvera le monde« Le vélo sauvera le monde 3

Le vélo est révolution. Sa vraie nature est émancipatrice et démocratique. Il transforme la ville et la vie, révèle la nature d’un homme ou d’une femme, nous relie à nous-mêmes et aux autres, infléchi une course à la vitesse qui érode jour après jour un peu plus notre réflexion. Le vélo est un véritable chaînon manquant de notre évolution vers plus de liberté, son usage quotidien, une marque intangible de responsabilité face à notre santé, celle des autres et de l’environnement. «L’homme intégral est vélocipédiste» écrivit Charles-Albert Cingria… divagations vélosophiques en perspective… »

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Quel thème « Le vélo sauvera le monde » ! Quel thème, le vélo, qu’elle nous aime la bicyclette ! Il ou elle, des îles ou des ailes. Je suis un fend-la-bise, roule à folle allure, entre les lignes ou les voitures. Je me sauve, hors des Bains, hors de l’urbain, hors du temps, je m’échappe assis sur selle que j’aime.Un bi-lan, une bi-lente, une bicyclette s’élance. Car bonne et pas carbone. Feux verts, je les flaire. Feux oranges, je les tance. Feux rouges, je les grille. C’est en une question d’amour : on pédale sans compter ou on ne pédale pas. Depuis sa naissance il y a 201 ans, le vélo contient l’anagramme qui fait tourner la planète : love. Il ne sauvera pas le monde, car il le sauve déjà!Un sauve-qui-peut la vie ! Pédaler, encore et toujours, parfois dans le yaourt ou les embouteillages, pour ne pas perdre le nord. Pas étonnant que les gens vous demandent la direction quand vous pédaler. Le vélo vous amène partout où vous avez besoin d’aller, qu’elle que soit la destination. Sauf quand… comme l’écrit Paul Fournel : « Chaque cycliste, même débutant, sait qu’à un moment ou un autre de sa vie il aura rendez-vous avec une portière de voiture. ». Et là, on se retrouve carrément, à l’ouest de son véloLe vélo sauvera le monde 5Le vélo peut-être beaucoup de choses. Comme enfant, il a été ma première montagne, mon premier Everest. Il me fallait grimper dessus et ne pas chuter. La selle était ma bonne altitude. Mon premier avion aussi, je m’envolais et connu aussi le vol plané. Comme adolescent, il fut l’exploration de tous les contours de la vie humaine. Un enchantement, un conte de fée. Comme adulte, il est le couteau suisse de ma vie avec toutes ses fonctions. Un passe-partout inoxydable, une intarissable source d’inspiration, un sésame, un trafiquant d’émotions. Gardant son innocence, il fut la découverte d’une merveilleuse planète qui tourne rond pardi, elle aussi. Jusqu’aux Him-alayas, hymne à la vie Le falot de mon yak éclaire mon intériorité qui, en pleine tempête s’égare en chemin. La plume est mon guidon. Je m’écris sans empreinte. Le faisceau de mon ange gardien me rappelle qu’ il n’y a pas de chemin, qu’il se fait et se défait en pédalant. Je goûte au silence d’une échappée belle qui rend la parole au paysage, car sans un mot, la bicyclette, elle, avec ou sans ailes, me comprend, étymologiquement « prendre avec ». Même si je perds les pédales, elle continue d’avancer.Le vélo sauvera le monde 4Ma vie aurait sans doute été une erreur sans bicyclette. Cyclo ergo sum, je suis un cycliste par nature. Mon vélo me rend plus vivant, plus humain, il est le meilleur baromètre de mes humeurs et mon optimale connexion au réel, un sysmographe de l’écorce terrestre. Il stimule mon attention à l’environnement et aux détails, se passe d’écran, et me permet de vivre en descente l’euphorie d’un vol d’oiseau. La nature même de l’homme : des racines et des ailes, de la profondeur et de la légèreté.

Plein de grâce et sans cuirasse, le vélo augmente notre forme, accentue nos formes imparfaites et nos inclinaisons intérieures : notre nature ! Moteur (de recherche) intuitif de notre propre existence, terrestre et céleste, il nous transporte au propre comme au figuré, avec une efficience énergétique inégalée, plus élevée que celle du martinet ou du saumon. L’élégance de l’antilope. Le vélo symbolise le développement prometteur et durable et rétablit une cohérence au milieu du chaos. Il simplifie la vie et réenchante le monde. N’empruntant le paysage pour ne lui abandonner que notre sueur, il lui restitue son silence et son air pur. Un coup de guidon et le monde se renverse. Un nid-de-poule, un chauffard, un coup de pompe ou une irruption volcanique et le monde nous renverse.

Voyager à deux-roues, c’est oser le grand dehors, vivre aux antipodes d’un statique Ballenberg, d’un frileux réduit national, du sentiment diffus de rester en rade, à Genève et son brouillard d’hiver. L’instinct contre la « raison ». Notre vulnérabilité devient alors notre force. Foin de suissitude, nous sommes tous des riverains du monde, frontaliers de notre destinée, centrifugés de la révolution terrestre.

Le monde ne se laisse pas mettre en pièces, ni en cartes ou en poche – tristes frontières ! Et le voyage est un chemin, sans cheminée ni parchemin. Rien de tel qu’un vélo pour palper, bien au-delà de leurs différences, l’insondable unité des hommes. 10’000 ans de sédentarisme n’ont pas réussi à dompter la vraie nature de l’homo sapiens devenu cycliste bi-centenaire : le mouvement. Car notre nature profonde est de tourner comme notre bonne vieille planète. Et peut-être bien que le seul moyen de ne pas perdre son temps, c’est tout simplement de le prendre. Ce n’est donc pas de la réalité augmentée ou d’un monde soudainement arpenté qu’il s’agirait d’inventer, mais d’homme émerveillé, à retrouver comme l’achèvement absolu de la pensée. In vélo véritas.Le vélo sauvera le monde 2

Et pour celles et ceux qui habitent Genève:

La philosophie prend au sérieux la bicyclette, pas la politique. Il nous la faudrait impérativement l’ambition sans limite… pour développer une politique en faveur du vélo. Celle de chaque citoyen, mais aussi celle démesurée d’un M le Maudet. Fin 2010, une action coup de poing de la police genevoise verbalisa 350 cyclistes. Pierre Maudet, aujourd’hui encore « Conseiller de l’Etat » à Abou Dhabi et à bout d’amis, alors Conseiller administratif, justifia cette action en qualifiant ceux-ci de « cycloterroristes », désastreuse appellation d’origine incontrôlable. N’ayant tourné sa langue que six fois dans sa bouche et non content de criminaliser les cyclistes, il récidiva le 22 novembre de la même année sur les ondes de La Première en évoquant aussi les « cyclokamikazes » la race des pédaleurs qui selon sa propre définition, circulent la nuit sans lumière. Combien même la bicyclette a été utilisée par de véritables poseurs de bombes, souvent suicidaires, en Afghanistan, en Inde, au Pakistan, en Irak, en Turquie ou au Yémen, ceux-ci ne furent pourtant jamais affublé du terme de « cycloterroristes » – un mot d’ailleurs toujours inconnu au dictionnaire…Le vélo sauvera le monde 6

D’autres s’adonnèrent à cette vindicte populiste contre ces tout désignés « talibans du vélo ». Ainsi, le 24 juillet 2013, Le Matin titrait : « Il déclare la guerre aux cyclistes (…) ». Ralf Latina, un ex-prof de maths genevois (…) a même failli utiliser son spray au poivre contre l’un d’eux (…) ! Le 27 juin 2014, Camille Pascal, l’ancienne plume de Nicolas Sarkozy, après avoir été bousculé par un cycliste, vitupéra dans Valeurs actuelles,: «  Le vélo n’est plus un moyen de locomotion, il est désormais un signe identitaire, un choix politique. Hier il était un sport, aujourd’hui il incarne une idéologie totalitaire et en cela il est devenu très dangereux ». Incendiaire, il poursuivit: « Le piéton n’est que de la piétaille aux yeux de ces nouveaux chevaliers du bitume, pire peut-être, car celui-ci voit derrière chaque piéton un automobiliste honteux qui rase certainement les murs pour aller récupérer sa voiture. Le cycliste a désormais la préséance et partout il faut lui céder le pas sous peine d’être traité comme un ennemi déclaré de la couche d’ozone. (…) ».

Humour et littérature nous délivrent fort heureusement de ce bourbier sémantique, arme redoutable de marketing politique. Dans Le Cycliste, Vikren Berberian décortique la vraie guerre, pas la dite « guerre des transports » où, comme chacun le sait, seuls les véhicules motorisés tuent, sauf exception, hélas le 17 août dernier à Genève. Pour l’auteur américain d’origine arménienne, «La violence est une panne du discours, une rupture de l’échange, de la communication entre des groupes, des individus ». Celui qui a dû fuir le Liban pour la Californie à l’âge de 9 ans, en 1975, et qui apprendra une décennie plus tard l’assassinat de son père par un groupuscule terroriste, donne une réponse littéraire à l’après 9/11 : « À la place d’une mitrailleuse, j’ai pris un ordinateur portable et je me suis mis à écrire ». Paru en anglais au lendemain des attentats contre les tours jumelles, Le cycliste invite à la subtilité et transfigure le réel d’un supplément d’âme. Berberian jongle sans cesse avec les mots, nous mijote des digressions culinaires et sexuelles. Son récit vibre de métaphores, drôles et savamment épicées. De sa plume alerte, l’auteur raconte à la première personne les réflexions d’un terroriste qui a pour objectif d’aller poser une bombe, à bicyclette. Un homme d’abord :« Sous notre carapace endurcie, plus épaisse que celle d’une noix, nous sommes humains tout comme vous. (…) Un terroriste peut aimer la bonne chère et tomber amoureux ». La vie contre la mort : « Comme cela doit être étrange d’arriver dans un monde où certains font la guerre, d’autres des omelettes (…) Notre bébé sera l’opposé d’un mécréant mécanique (ndlr : une bombe) : un énorme mâle aux petits yeux en forme de perle ; aux lèves plus riches que le rose du saumon (…) Nous le bichonnerons, puis l’installerons sur un siège à l’arrière de mon vélo et l’emmènerons faire un tour. (…) Il gémira comme le font je suppose tous les bébés. Puis il poussera un cri explosif plus puissant qu’une bombe ».

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La Genève frileuse, protestante, banquière restera-t-elle en rade de sa gouille?Alors que certaines des plus importantes décisions pour la planète se prennent ici, aucun politicien local n’a le courage d’une vision pour la santé de la communauté toute entière. A tel point que dès juin 2019, le gouvernement pourrait être accusé de ne pas respecter la volonté populaire de l’initiative 144… 

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Voir l’action du collectif 144: RTS, 12h45 / 2 min. / le 09 octobre 2018

Le vélo réintroduit toute la force de la rêverie, mais aussi le pragmatisme. J’aimerais tellement me coucher avec le sentiment de retrouver une ville apaisée au petit matin.                                 

Dans « Petit traité de vélosophie », Didier Tronchet compare avec une ironie jubilatoire le cycliste et l’automobiliste : « La différence d’attitude face au monde entre le cycliste et l’automobiliste, c’est au plus intime qu’on peut la saisir. Au niveau du cul (postérieur). Observons celui du cycliste ; légèrement en arrière, il favorise l’envol de la colonne vertébrale. La posture est proche de la statuaire antique. Elle induit une vision dynamique, un mouvement vers l’avant qui témoigne d’une belle confiance en ce que la vie lui réserve. Le postérieur automobiliste, coincé au confluent du dossier et du siège, ne peut se permettre l’arrogance d’un cul cycliste, qui exporte ses fessiers aux confins sans limites de la selle. Non, tout racrapoté sur sa molle concavité, il implique chez son propriétaire une pose semi-fœtale, qui trahit son repli sur lui-même ; impression renforcée par la simili-coquille d’œuf galvanisée de son habitacle, illusoire parodie de sécurité placentaire car elle se brisera au premier gros choc ».

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A propos du yak: « La juste mesure du monde », pp.111-113.