Velo-city 2019

Publié le 18/06/2019

Votre fidèle serviteur a couvert pour la 6ème fois la conférence Velo-city , le sommet mondial annuel du cyclisme organisé par la Fédération européenne des cyclistes (ECF) et certaines villes hôtes. La conférence Velo-City est la plus grande conférence au monde dans les domaines du cyclisme, des infrastructures cyclables, des innovations en matière de vélo, de la sécurité du vélo et des changements sociaux et culturels induits par le cyclisme à l’échelle mondiale.

Bike Parade Velo-city global Copenhagen 2010

(Images: Claude Marthaler, Montage: Raphaël Jochaud)

Les conférences intéressent également les acteurs des domaines de la technologie, de la santé, de la modification des comportements, des politiques urbaines et des infrastructures, de la mobilité et des transports en général.

Les conférences se tiennent en Europe tous les deux ans, puis alternativement selon les continents. Tenue pour la première fois en 1980 à Brême, la conférence a vu la participation augmenter régulièrement et susciter un intérêt considérable dans les médias mondiaux.

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Tout sur la Velo-city 2019 

Le thème de Velo-City 2019 Dublin est Cycling for the Ages. L’objectif est de rendre le cyclisme accessible à tous, du plus large éventail possible, de 6 à 80 ans. Ce thème vise à encourager le cyclisme chez les personnes de tous âges et de tous niveaux, jeunes et moins jeunes, hommes et femmes, dans le leurs transports et loisirs quotidiens.

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J’ai couvert pour La Libertél’Echo magazine, PRO VELO info et l’ ATE Magazine les éditions suivantes:

  • 2010 – Copenhague, Danemark : Different gears same destinations
  • 2011 – Séville, Espagne : El ciclo de la vida – The cycle of life
  • 2013 – Vienne, Autriche : The Sound of Cycling – Urban Cycling Cultures
  • 2015 – Nantes, France : Le vélo, créateur de futur2017
  • 2017 – Arnheim et Nimègue, (Pays-Bas) : The freedom of cycling
  • 2019 –  Dublin: Cycling for the ages                                                                                                                                        Morceau choisi (L’Echo magazine, 26.09.2014):

Vélo-city 2013

La bicyclette est l’avenir de la femme (et l’inverse)

L’humanité vit en majorité dans les villes et les villes étouffent sous le trafic. Electrique ou non, le vélo a le vent en poupe, mais il doit pour cela convaincre les décideurs… et les femmes, souvent réticentes face à ce mode de locomotion.

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Elle avait douze ans et elle rêvait d’un vélo: l’histoire de Wadjda, la petite Saoudienne qui se bat pour recevoir enfin sa bicyclette, a ému de nombreux téléspectateurs romands. Le film d’Al-Mansour, sorti cette année, est une bonne introduction aux défis que doit relever le vélo chez nous comme dans le tiers-monde. Car le vélo «n’est pas une machine neutre, c’est une construction sociale», disait Ann-Kathrin Ebert, du Musée des techniques de Vienne, lors de Velo-City 2013, qui s’est tenu en juin dans la capitale autrichienne en présence de 1300 professionnels, urbanistes, politiciens et militants.

Un lourd corset

Chez nous aussi, l’histoire du vélo est liée à l’évolution des mentalités. On l’a entendu dans la bouche de Bente Knoll, consultante en développement durable en Autriche: «Au 19e siècle, les activités étaient divisées par genre, avec un code vestimentaire féminin très strict: long et lourd corset à couches multiples. Les femmes n’étaient pas autorisées à montrer leurs chevilles, pas même le moindre centimètre carré de leur peau».
Le corps de la femme était un objet scientifique: le Medical Journal prétendait alors que la pratique du vélo faisait rougir les femmes, les rendait laides et même qu’elle leur ferait perdre leur fertilité.
Il a fallu plus d’un combat et l’évolution technologique du vélocipède pour que l’habillement féminin intéresse les modistes et qu’apparaissent les bloomers, les premiers pantalons portés par des femmes. A la fin du 19e siècle, les magazines recommandent une tenue. Le développement du cyclisme contribue à la libération de la femme; des écoles, des associations et même des journaux féminins consacrés à ce mode de locomotion voient le jour. Un mouvement irréversible, constate l’écrivaine autrichienne engagée Rosa Mayreder (1858-1938): «La bicyclette a plus contribué à la libération des femmes de la haute société que l’ensemble des efforts pour la libération de la femme».

Apprivoiser son vélo

Mais toutes les femmes n’ont pas le même accès à ce véhicule androgyne qu’on nomme indifféremment vélo ou bicyclette. La Hollandaise Angela van der Kloof, qui entraîne dans son pays des femmes immigrées, raconte: «Il faut les aider à reconnaître leur peur, leur apprendre à pédaler dans un lieu sûr et confortable, petit à petit. Pour les Afghanes par exemple, le vélo est quelque chose d’abstrait, une machine, quelque chose d’étrange, comme un rêve. Elles s’interdisent tout simplement d’apprendre quelque chose de nouveau, pensent qu’elles n’en sont pas capables ou craignent de perdre leur virginité en pédalant. Dans bien des cultures, les femmes sont considérées comme vulnérables et faites pour rester à la maison, un concept qu’elles ont souvent intégré. Et puis, certaines ont été victimes de violences. Lire une carte leur est impossible, car elles sont illettrées. Elles manquent d’argent ou ont d’autres priorités. Elles n’ont souvent pas le temps de suivre un cours. Ces femmes manquent de support financier. Rouler, c’est apprendre tout cela!».
A Mexico, Fernanda Viguri Trejo, de l’association Mujeres en Bici, «Femmes en bicyclette», pense que la mode et ses accessoires peuvent attirer l’attention sur les actions des femmes et agir comme un déclencheur pour les inciter à prendre possession de la jungle urbaine. «Amitié, liberté, féminité»: là aussi, la dimension inclusive et sociale est fondamentale. Pour l’instant, les statistiques indiquent hélas un maigre 5% de femmes qui roulent à vélo dans la capitale mexicaine tandis que dans un pays comme la Hollande, sur 27% de cyclistes au total, 55% sont des femmes!
Selon elle, le premier obstacle est le manque de condition physique, le second les habitudes: les femmes préfèrent souvent au vélo la voiture ou les transports publics.
Enfin, «elles doivent acquérir la certitude que le vélo permet de s’habiller librement et même qu’il est si noble qu’on peut l’utiliser avec des hauts talons.
Et puis, tout le monde est égal sur un vélo». Pour une femme mexicaine, pédaler a valeur d’exemple: «Il n’y a pas mieux qu’une femme qui explique à une autre femme». De plus, en la sortant de son rôle traditionnel, qui la cantonne à la maison, le vélo lui permet de faire de l’exercice et influe sur ses habitudes alimentaires.
Et puis, «il y a aussi un problème dans les ateliers de réparation: c’est un fief masculin qui les intimide. Pour y remédier, nous organisons des ateliers de réparation communautaires où les femmes peuvent apprendre à réparer un vélo. Car il faut démystifier la bicyclette».

Environnement peu propice

La congestion du trafic décourage plus d’un cycliste potentiel. Sabine Kubech, biologiste de l’humain, évoque notre société, où la sécurité s’est transformée en obsession, un marché fort lucratif au demeurant: «On n’a jamais été si sûr et si peureux. On pense que le casque produit la paix de l’esprit et on oublie le sens commun. Le port du casque fait partie de la campagne de sécurité, souligne le fait que pédaler, c’est se mettre en danger. Un lieu civilisé se transforme en lieu de peur et on en fait porter la responsabilité aux innocents. En réalité, il serait bon de civiliser réellement un espace envahi par un demi-siècle de colonisation automobile».
Elle démontre, si besoin était, la relation étroite qui existe entre les mouvements du corps et ceux de l’esprit: «Outre la tolérance au stress, le vélo entraîne l’acuité mentale». Il renforce la mémorisation des informations qui permettent de prendre une décision rapide ainsi que la capacité à s’isoler et se concentrer. Enfin, il développe la faculté de changer, de s’adapter rapidement. Tout cela entraîne une autorégulation, une maîtrise de soi et accroît le sens de l’orientation. Elle s’inquiète du fait qu’en Autriche il soit interdit de pédaler seul au-dessous de 16 ans: «Cela a-t-il un sens? Pourquoi cette peur des politiciens à s’approcher du vélo?».

Claude Marthaler

Le Sud peu présent

«Si dans les pays riches, le vélo représente un choix positif, dans les pays pauvres, faire du vélo est un acte de désespoir. Un accident peut plonger une famille entière dans la pauvreté. Dans le même temps, la possession d’un vélo peut améliorer grandement sa situation», a rappelé l’urbaniste indienne Shipra Narung Suri, l’une des seules représentantes du Sud à Velo-city 2013.
Elle illustre son discours par quelques exemples à travers la planète: «Les 600’000 conducteurs de rickshaws de Delhi sont constamment menacés d’exclusion, car ils ralentissent le trafic. Seuls 0,8% du budget de la capitale sont consacrés à la mobilité non motorisée. En 2004, 74% des morts à Mumbay étaient des piétons. En 1996, 90% des déplacements s’effectuaient à vélo à Pékin; aujourd’hui, la proportion s’est réduite à 10%. A la frontière de l’Ouganda et du Kenya, les border-border (vélos-taxis) des années soixante et septante sont aujourd’hui remplacés par des motos».
«Le vélo ne va sans doute pas sauver le monde, mais il est une pièce importante du puzzle et il faut l’agrandir», insiste-t-elle. «Est-ce l’étroitesse de notre esprit qui rend nos rues si étroites?», complète l’urbaniste ougandaise Amanda Ngabirano.

CMa

L’Etat aime trop la voiture

Le discours visionnaire du consultant Michael Colville-Andersen a le mérite de proposer une autre perspective: «Qui n’a pas un jour remarqué qu’un humain prend toujours le chemin le plus court quelle que soit la signalisation imposée?». Ce sont les fameuses «lignes de désirs», une notion empruntée au philosophe Gaston Bachelard.
«Pendant 7000 ans, nos rues étaient l’extension de nos maisons, un monde sans automobiles. En un siècle de vision technocratique, on n’a appris qu’à fabriquer plus de routes et plus de voitures. Le vélo est maintenant regardé comme une irritation. L’Etat aime plus la voiture que l’homme», relève-t-il. Cela s’appelle civiliser l’espace. Les technocrates ne s’en privent pas.
«Pourquoi donc ne pas miser sur un autre design, fonctionnel, pratique, élégant? Un design puissant et séducteur, car la beauté mène tout droit à la responsabilité. Comme les citoyens ne tiennent pas à enfreindre la loi, il faut se poser la seule question qui compte: ma ville me convient-elle? Est-elle à mon échelle? A quoi ressembleraient nos rues si elles étaient redessinées par nos enfants?», s’interroge-t-il en projetant les dessins de sa fille. Et de conclure: «Elles seraient plus sûres que durant ces cent dernières années. Nous possédons les outils. Soyons rationnels. Une fois de plus!».

CMa