L’Eurasie à vélo #74: A Hokkaidō, le froid et le vent sont les pires ennemis du nomade

Publié le 25/05/2022

Sur cette île du nord du Japon, la recherche désespérée d’un abri pour dormir et se réchauffer constitue la priorité du voyageur

Hokkaidō et ses montagnes enneigées, piquetées d’arbres dénudés à la base et flanquées de falaises qui plongent dans l’océan. Paysage froid, mouettes et aigles qui tournoient au-dessus des filets de pêche. Routes contre lesquelles on a élevé des murs métalliques, des tunnels en plexiglas où les automobilistes peuvent s’arrêter durant l’hiver pour éviter d’être déportés. Pêcheurs qui arrachent les moules aux rochers et récupèrent les bois échoués à marée basse pour chauffer leurs maisonnées barricadées derrière les hauts murs (3 mètres) de planches.

En soirée, je tournais le dos à cet univers ingrat, rude, qui durcissait mes doigts de pieds trempés et me réfugiais derrière les vitres embuées des onsen (les bains d’eau chaude japonais). La neige tombait dru derrières les baies vitrées. J’emmagasinai là un maximum de chaleur avant de me glisser derrière la porte coulissante d’un arrêt d’autobus (ces abris étaient devenus mes refuges de préférence). Quelques mètres carrés d’un banc étroit mais pour une fois assez long pour m’étirer complètement. Au matin, les Japonais, confondus, prenaient peur de voir ma tête ébouriffée et ensommeillée, le corps emballé dans ma tente (comme un parachutiste tombé du ciel). Ils préféraient attendre le bus dans le vent froid, plutôt que d’entamer une conversation au chaud…

Au large, l’île volcan de Rishiri sortait de l’océan comme une gerbe d’une blancheur éclatante. De vieux cars, dans lesquels les pêcheurs entassaient leurs filets de pêche, pointaient leur nez vers l’océan. Ici ou là, de grands hangars, en ogive, d’où échappaient une forte odeur de fumier. Des plaques de neige tachetaient encore les falaises, à moitié recouvertes de glace. Des collines de coquilles Saint-jacques qui se confondaient avec les congères bordaient la route.

Dans une chaufferie

La température déclinait sensiblement. La mer d’Okhotsk (au nord d’Hokkaidō) n’avait commencé à dégeler qu’une semaine auparavant. Image fugitive, j’aperçus un gars assis sur une sorte de luge laponne qui faisait des zigzags au ras de l’eau avec un grand cheval. Il disparut derrière un rideau de roseaux battu par le vent. Les silhouettes des hérons et les cris aigus des mouettes s’élevaient. Le lac d’Abashiri, totalement gelé, se nimbait de brouillard. Poussé par un besoin irrépréhensible de chaleur, j’entrai dans un onsen. La réceptionniste, la quarantaine, qui se promenait sans cesse avec une perruche verte sur l’épaule, me reconnut grâce à la presse locale. Elle m’invita aussitôt à faire sécher mes habits dans la chaufferie. Je passai sans transition de 0 à 95 degrés du sauna, puis m’enfonçai sur un tatami dans un sommeil de plomb. Le Japon me surprenait plus d’une fois

C. M.

C’est sur cet épisode que se termine notre série sur « L’Eurasie à vélo », vécue, écrite et racontée par ce cycliste infatigable et insatiable qu’est Claude Marthaler.

L’Eurasie à vélo par Claude Marthaler, La Tribune de Genève, 12 janvier 1998