L’Eurasie à vélo #72: Au Japon, la nature reste souveraine

Publié le 23/05/2022

Volcans, plateaux herbeux et rizières se côtoient. Ce relief a poussé les Japonais à l’ingéniosité.

L’Asho Shan, le plus grand volcan actif du monde, domine un paysage de forêt de ses formes molles et râblées, et rappelle que l’archipel nippon se trouve sur la ceinture de feu du Pacifique. L’ultime pente, sévère, mène au cratère. Du chaudron monte un grondement intempestif et des fumerolles de souffre. Là , des vendeurs d’appareils photographiques jetables respirent les gazs du volcan toute l’année. Si ces appareils résumaient en couleur la futilité d’une vie humaine, le volcan rappelait la puissance de la nature. Car le Japon, c’est aussi la présence écrasante des montagnes et l’étroitesse des plaines. L’interpénétration de la terre et de la mer produisit dans l’esprit japonais (bien avant que le bouddhisme n’y fût introduit), différents cultes animistes et une formidable capacité d’adaptation.

Tunnel sous-marin

Descente idyllique en traversant un paysage composite: vastes plateaux tabulaires d’herbes hautes et dorées, plaines fertiles, quadrillées de champs de riz scintillants. Deux cents sources d’eau chaude se frayent des chemins sous la croûte terrestre et donnent naissance à des bains publics. Un grand pont relie Kyūshū (l’île du sud) à Honshū, l’île principale. Je prends l’ascenceur pour ensuite traverser le tunnel sous-marin étroit aux murs peints d’arbres, agrémenté de sifflements d’oiseaux. Les Japonais, qui ont le goût des petites choses savent aussi bien faire preuve de grandeur par leurs prouesses techniques. Ce pays, dispersé comme un éventail sur plusieurs degrés de latitude, n’a pas fini d’inventer des moyens pour se relier, de s’associer, défini par cette géographie éclatée et mouvante qui lui dicte l’union à tout prix. J’aperçus un cyclotouriste japonais, lui fis signe, mais il ne prit pas le temps de s’arrêter. A sa ceinture pendait un téléphone cellulaire.

Parfois il y a des gestes qui en disent plus long qu’une parole et trahissent l’âme d’un peuple. Comme ce café chaud tendu à bout de bras accompagnée d’un « have a nice day! », ou ce billet de 10’000 yens glissés sur le guidon. C’est le manager d’un supermarché qui me fit passer à l’arrière pour manger une soupe entre son fax, des machines à étiqueter, et des écrans de télévision qui rapportaient les images des employées agitées comme des abeilles dans une ruche.

C. M.

L’Eurasie à vélo par Claude Marthaler, La Tribune de Genève, 9 janvier 1998