L’Eurasie à vélo #7: Comestible la moutarde? La preuve manque

Publié le 18/03/2022

A la frontière ukrainienne, on casse la croûte sur les capots des centaines de voitures et de camions qui chauffent au soleil. Un ouvrier sur une échelle casse un mur à coups de massue. De gros blocs tombent à côté des véhicules sans que personne ne s’inquiète de rien. A l' »Intourist Bank » (une porte d’appartement au fond d’un couloir, à côté des toilettes), la porte est close. Preuve irréfutable que la personne chargée de cette fonction est allée boire un café.

Dans le hall d’entrée de cette douane, mastodonte kafkaïen, deux matrones vêtues de bas de laine et de quelques couches de jupon, balaient le parterre. Une grappe d’homme bourdonne autour du guichet. Chacun attend quelque chose avec urgence et personne, semble-t-il, ne l’obtient. Un camionneur s’est vu refuser l’entrée, car il lui manquait un papier d’un médecin certifiant que sa cargaison de yaourts et de moutardes était comestible! Grâce à la bicyclette, je passe les quatre contrôles militaires sans problèmes. Les jeunes soldats, crânes rasés et sourire aux lèvres, admirent au toucher la qualité du passeport suisse!

Dès le poste-frontière passé, le silence des terres. Femmes qui gardent à la longe de ci, de là une vache, une chèvre, tout occupées à leurs broderies et qui n’entendent sans doute plus cette voix de haut-parleur, grésillante et anonyme, qui se répand sur des kilomètres, comme un lointain convoi funèbre.

L’Eurasie à vélo par Claude Marthaler, La Tribune de Genève, été 1994