L’Eurasie à vélo #67: La Grande Muraille ne protège pas les Chinois du tourisme
Publié le 18/05/2022
C’est en training et une casquette de base-ball vissée sur le crâne que les visiteurs se pressent sur le site. Plus loin, la côte Pacifique est moins agitée.
La Grande Muraille de Chine se déployait sur près de 5000 km, bâtie de millet, de pisé et de pierres. A Simatai, elle grimpait les plus invraisemblables des crêtes. Autrefois, elle servait autant de moyen de transport de marchandises que de « messagerie » par des signaux de fumée. Colonne vertébrale et vaste enclos à la fois, elle fait partie de ces rêves pharaoniques qui accompagnent le règne des empereurs. Aujourd’hui, les Chinois, qui prétendent qu’il faut avoir vu la Grande Muraille pour connaître la Chine, se tirent par la main pour accéder à ses tours de gardes. Ils embarquent d’abord dans des « oeufs » à deux places où des hauts-parleurs perchés sur des pylônes diffusent le dernier tube en vogue. Puis, le souffle coupé, ils grimpent ses serpentins, armés de leurs trépieds, vêtus de casquettes de base-ball et de trainings.
Ce paysage aux volumes sinueux aurait tout à donner dans le silence de sa solitude. Mais ici, les boutiques de souvenirs ont tôt fait de rafler la sérénité du lieu en proposant leur T-shirts « I climbed the great wall« , et des montagnes de boissons dont les bouteilles parsèment bientôt les fourrés alentour.
Vers la côte Pacifique
En m’approchant irrésistiblement de la côte Pacifique, les gens de ce pays me retenaient comme pour me rappeler leur gentillesse et leur bienveillance. Il faisait bon quitter la Chine sans claquer la porte. Au-devant de mes roues, le plus grand morceau de chair terrestre, l’Eurasie, rencontrait le plus grand océan du monde. De telles frontières naturelles portaient à l’émotion. Quant aux Chinois, très pragmatiques, ils avaient un sens géographique très précis d’eux-mêmes et disaient:
« A Pékin, vous pouvez manger ce que vous voulez.
A Dalian, vous pouvez vous vêtir comme vous voulez.
A Canton, vous pouvez manger ce que vous voulez.
A Nanjing, vous pouvez même augmenter les prix. »
Les lampions rouges des restaurants pour camionneurs s’alignaient devant mes yeux. Je passais régulièrement mes soirées et mes nuits dans ces lieux de transit tenus par des familles qui faisaient aussi pension pour un dollar la nuit. Avec le tableau perpétuel du fils unique qui recopiait consciencieusement ses premiers idéogrammes sur un coin de table. A l’autre bout de la pièce, une grand-mère mâchouillait bruyamment des pâtes à grand renfort de piments rouges.
C. M.
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L’Eurasie à vélo par Claude Marthaler, La Tribune de Genève, 3-4 janvier 1998