L’Eurasie à vélo #66: La campagne chinoise trahit la pauvreté du pays

Publié le 17/05/2022

Loin de l’opulence des côtes Sud et Est, la banlieue de Pékin dissimule des clochards et des paysans miséreux. Au beau milieu de terres dépouillées.

La capitale chinois me procura une sensation d’achèvement brute et pure. Ce put être n’importe quel autre lieu, n’importe quel instant. Un des trésors enfouis, uniques, repères abstraits, invisibles et joyeux, qui emporte l’âme sur une piste céleste. Une jubilation. J’avais pédalé, un tour de taille terrestre, comme un fabuleux tour de passe-passe.

Aussi, je quittai Pékin le vent en poupe, l’esprit léger, le corps reposé, et passai sans prendre garde au premier échangeur autoroutier de la capitale construit un an auparavant. Les jours se raccourcissaient, le fond de l’air se refroidissait et les feuilles rousses emportées par le vent d’automne, faisaient apparaître les frêles silhouettes de peupleraies. Le long du réservoir d’eau qui alimente Pékin, des vendeurs ceinturés de cotonnades épaisses proposaient des kakis, des pommes et des poissons séchés à des prix ridiculement bas. Tout cela rappelait la pauvreté pathétique de la Chine, malgré le formidable essor que connaissent les côtes Sud et Est. Le soleil irisait les flots de vapeur qui s’échappaient des cuisines ambulantes, improvisées sous des bâches en plastique. A 7 heures du matin, c’était l’hiver, à 9 heures c’était l’automne. Il y a trois semaines, à mon arrivée à Pékin, c’était encore l’été.

Tiges de bambou

Les paysans recouvraient leurs champs de riz de gerbes qu’ils dispersaient en croix pour les épargner du froid. Ils élevaient des serres rudimentaires en creusant la terre qui servait à élever la face nord et nouer des tiges en bambou pour soutenir une couche de plastique. La terre boursouflée en vagues de serres, courbées comme des vieillards, donnait un aspect résigné à ce paysage cru, annonçant irrémédiablement l’hiver.

Chaque jour, en rase campagne, je croisais quelques clochards, le regard hébété, qui croquaient une pomme sous la pluie. Le vent de poussière emporta leurs silhouettes mal définies de vêtements en guenilles. D’une démarche mal assurée, ils empruntaient le bord des routes. Je débusquai, médusé, leurs regards teintés de tristesse, de folie, si lointains qu’ils ne me voyaient même pas passer. L’un d’eux, les aisselles appuyées sur des cannes, les pieds tordus, passa devant des mètres cubes de papier toilettes. – sortis d’on ne sait où – contre lesquels des vendeurs frigorifiés se pelotonnaient. En Chine, la pénurie chronique faisait surgir ou disparaître des produits de toute sorte. Plus loin, des paysans, la morve au nez, joues rouges et mains enfouies dans leurs manches, tapaient du pied autour de leurs bottes de poireaux.

C. M.

Prochain article: La Grande Muraille

LEurasie à vélo par Claude Marthaler, La Tribune de Genève, 31 décembre1997-1er2 janvier 1988