L’Eurasie à vélo #65: Au coeur de Pékin, la place Tian’anmen attire toujours les foules

Publié le 16/05/2022

A l’image de sa capitale, la célèbre place possède quelque chose d’éternel. Malgré le massacre de 1989, les Pékinois continuent de s’y rendre en masse.

Infatigable, Claude Marthaler poursuit son périple asiatique. Juché sur son vélo, l’aventurier avait parcouru le Bangladesh puis le Tibet. Nous avions diffusé dix épisodes de ce lointain voyage dans nos éditions de janvier et février 1997. Claude Marthaler a désormais rallié la Chine. Dans la nouvelle série, que nous allons régulièrement publier, l’auteur redécouvre la très célèbre place Tian’anmen et l’immensité de la campagne chinoise. – (réd)

Pékin était celle ville grise, dispersée, sans aura, symbole du pouvoir politique. Une capitale excentrée, si longtemps repliée sur elle-même par suffisance.. A la lisière du monde nomade, de la Mongolie et de la Mandchourie. Les dirigeants communistes n’avaient fait que reproduire une conception spatiale du pouvoir héritée de l’Empire. « Zhōnghuá » – le pays du milieu -commençait lui-même sur la place Tian’anmen, flanquée de la Cité interdite au nord, les bâtiments gouvernementaux à l’est, et à l’ouest d’une porte monumentale, puis d’une McDonald au Sud. Ses larges avenues anonymes qui prenaient naissance ici allaient conquérir le monde entier. Une horloge électronique, au centre de la place, débitait le compte à rebours en jours, heures et minutes du retour de Hong Kong à la « mère-patrie ».

Tian’anmen, cette gigantesque place carrée tel un monolithe, avait été conue pour accueillir des cérémonies commémoratives. La proclamation de la République populaire de Chine par le président Mao Tsé-toung en 1949, qui rassembla près d’un million de personnes en fut le plus grandiose. Les Chinois la choient, s’y rendent en masse, en pèlerinage, avec la même ferveur que les musulmans à la Mecque: une fois dans leur vie, il faut faire ici les cent ou les mille pas dans un voyage de régression vers la berceau de la nation.

Ma présence soudaine sur cette place attroupa la foule comme guêpe sur miel, sous l’oeil vigilant du portrait de Mao. La foule énorme dans ses plus beaux habits en était presque à se battre pour être prise en photo en présence de cet élément exotique et son vélo déluré, sorti d’un monde différent. Mais un policier remit bientôt cette Chine distraite sur ses rails et le cycliste sur ses roues, ravi d’échapper un instant au poids du nombre qui lui dictait sans cesse la direction à prendre. Si Tian’anmen était truffée de cerfs-volants (ce qui lui procurait un peu de légèreté, de couleur et de hauteur), elle était également surpeuplée de policiers en civil. En 1989, pour la première fois de son histoire, la Chine envoya sa « People’s Liberation Army » contre sa propre populace et la place fut transformée en bain de sang. La place Tian’anmen révélait à elle seule la sensation ambitieuse de profond vide intérieur, d’absence de spiritualité et le trop-plein extérieur d’humains, de besoins et de nuisances que la ville me transmettait goutte à goutte.

C. M.

Avec cet article s’achève le récit des tribulations du cycliste-aventurier genevois Claude Marthaler, que nous vous avons proposé de suivre par épisodes depuis plus d’un an.

LEurasie à vélo par Claude Marthaler, La Tribune de Genève, 30 décembre1997