L’Eurasie à vélo #64: « En Mongolie orientale, je n’ai rencontré qu’un seul Mongol »

Publié le 15/05/2022

Une statue de marbre blanc représente l’empereur qui a conquis la Chine au XIII siècle

Trois coupoles brillent au sommet d’une colline. Bizzarement, Gengis Khan (empereur mongol qui conquis la Chine du Nord entre 1211 et 1216) a droit à un mausolée, relié au monde par une route goudronnée. Un long escalier brodé de cyprès y mène. Des bâtisses abritent un fac-similé d’artisanat mongol. C’est dire si Gengis Khan pouvait à tout moment surgir de sa tombe et s’emparer d’une chevauchée, de son empire défunt. Une statue de marbre blanc suppose le représenter sur fond d’une carte géante en relief de l’Eurasie.

Les nouveaux maîtres de la Chine, en complet-cravate, descendent ici de leurs voitures japonaises luxueuses, et se déploient en groupes dans les ailes adjacentes aux peintures murales stylisées, trop modernes pour restituer une certaine authenticité. Des bannières en écriture mongole, des lettres en ronds de fumée, deux bougeoirs allumés et de fausses yourtes en dur sont représentés. Pendant ces quelques jours en Mongolie Intérieure, je n’ai rencontré qu’un seul Mongol et mort: Gengis Khan. En parcourant les abords du mausolée, je cherche désespérément un signe de sa présence.

Dans cette région d’exploitation du charbon, d’un relief fripé comme une vieille peau, sortent par centaines à la queue leu leu des camions chargé de cet or noir. Ils s’enfilent dans les descentes comme on embarque dans le grand huit. Des morceaux de charbon giclent de leurs remorques mal bâchées et m’arrivent dessus en pluie. Un vieil homme tire son âne pour récupérer cette manne précieuse. Sans être alchimiste, son travail journalier a de quoi le chauffer une semaine. L’air saturé de particules vicieuses promet de joyeux cancers à ces travailleurs aux corps nerveux et maigres qui poussent des brouettes, à roues de rickshaw.

Des traînées de sable abrasives m’emportent à tire-pédale hors de cette région triste. Un mécanicien dévoile les roues de mon cheval de fer, fixe une nouvelle paires de pédales, m’offre vingt rayons et deux chambres à air en souriant: « Welcome to Beijing! » (la paix du Nord). Tian’anmen, la plus fameuse place du monde, déploie ses avenues longilignes infinies. L’alignement des choses et des hommes est un thème cher aux Chinois. Ce corset de latitudes et de longitudes qui voudraient rationnellement enserrer la terre dans un tour de taille de 40’000 km. Pas le milliard de dollars du Paris-Pékin, mais tout juste le paris d’un Pékin.

Claude Marthaler

Avec cet article s’achève le récit des tribulations du cycliste-aventurier genevois Claude Marthaler, que nous vous avons proposé de suivre par épisode depuis plus d’un an.

L’Eurasie à vélo par Claude Marthaler, La Tribune de Genève, 3 février1997