L’Eurasie à vélo #63: Le Tibet compte un monastère de plus. Récit d’une inauguration

Publié le 14/05/2022

Des officiels chinois aussi peu bouddhistes que démocratiques clament leurs interminables discours tandis qu’un spectacle haut en couleurs célèbre ce nouveau lieu de culte.

Litang célèbre ces jours son plus grand festival tibétain depuis dix ans. Un nouveau monastère y a été construit et sent encore la peinture fraîche. Pour quelques jours, les meilleures cavaliers de la région se sont installés dans ce village de tentes blanches ornées de cornes de yacks bleues. Perchées de sur leur pur-sang au galop, ils jettent leur corps entier, les mains au ras du sol pour ramasser un maximum de khata. Certaines tombent, mordant la poussière, tandis que leurs étalons fougueux et bigarrés poursuivent sauvagement leur galop. Prouesse ou chute, des vagues de cris enthousiastes s’élèvent dans le ciel. Le nomadisme coule dans le sang de ce peuple comme les rivières nées sur leur plateau.

Des artistes venus de Chine

Danses et chants alternent dans ce décor de prairies vertes, à plus de 4000 mètres d’altitude. Des tables de billard, des tentes dans lesquelles on dépèce un yack. Des manteaux s’ouvrent pour vendre un bijou, une statuette, un talisman. Des bébés emmitouflés, ceinturés sur le dos de leur mère ouvrent leurs grands yeux à travers les nattes décorées de perles et de bijoux qui doivent bien peser 20 kilos.

Le podium, qui reçoit des artistes venus de Chine, contraste fortement avec les centaines de danseurs et danseuses tibétains. Des soldats en baïonnettes près du podium sont là pour défendre les officiels chinois. L’espace, les pâturages, les rivières, le vent, le ballet des nuages dans le ciel, ses étoiles, les moulins à prière continuent à inspirer le même tourbillon cosmique.

Des moines-policiers prêts à tout

L’inauguration se fait en grande pompe. Une colonne de 4×4 remonte une des seules rue du bourg. Leurs vitre teintées abritent des officiels chinois aussi peu bouddhistes que démocrates. Fouille sommaire et interdiction de photographier. Des policiers en civil, sortes de « Sherlok Holmes » chinois, parcourent les toitures du monastère. Ils portent les chapeaux couvrant leurs têtes légèrement inclinées sur leurs téléphones portatifs qu’ils chérissent autant que leurs jumelles. Une surprenante atmosphère « propre en ordre » règne sous les arcades. La pluie qui dégoutte des chapeaux de feutre donne aux visages anguleux des Khampas des airs féroces d’Apaches prêts à déterrer la hache de guerre.

Bataille rangée

Les discours interminables et ennuyeux des officiels chinois et des moines n’effleurent guère ces policiers. Une danse costumée, sommaire, masque mal l’enjeu de cette cérémonie éminemment politique. Et aussitôt terminée, ils montent à l’assaut de la tribune d’un seul cri de guerre. Ils auraient fait n’importe quoi pour entrer dans le sanctuaire de leur monastère. Rien n’arrête plus ces moines-policiers aux carrures impressionnantes réhaussées par des épaulettes en brocard qui ressemblent aux centurions de César.

Une bataille rangée suit. De méchants coups de bâton volent. Des jeunes Chinois en tenue paramilitaire et aux brassards rouges (qui rappellent les gardiens de la révolution culturelle) tentent de s’interposer. La véritable nature des choses éclate. Puis, peu à peu, la cour du monastère se vide. Quelques pieux pèlerins courbés par l’âge effectuent des prosternations. Des enfants moines, abrités sous une voûte, s’agitent pour entrer dans mon objectif. Tandis que l’un d’eux, qui doit juste avoir quelques années, pleure.

Claude Marthaler

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L’Eurasie à vélo par Claude Marthaler, La Tribune de Genève, 24 janvier 1997