L’Eurasie à vélo #57: A Chittagong, le cycliste se frotte à la perversion

Publié le 08/05/2022

La deuxième ville du Bangladesh sent la misère, l’oubli, la vanité, la corruption

Les rizières s’étendent à perte de vue. Sur la route de Chittagong, la deuxième ville du pays, se succèdent fabriques de jute, d’huile végétale, briqueteries qui font inévitablement penser à une « proto-industrie ». Ici, une « femme-caméra », enveloppée dans une burqa rose éclatante, n’avait qu’un espace de quatre centimètres carrés pour voir le monde. Là, la police des frontières venait de saisir 33’200 paquets de préservatifs destinés au Myanmar…

Dans la ville portuaire, cul-de-sac sale, la circulation chaotique, roues contre essieux, fait partie du quotidien. Les grandes avenues, qui ne mènent nulle part, semblent aussi irréelles que longues, sans passé, ni futur. Sur des affiches peintes de cinéma, des héros pistolet au point, des femmes fatales, des antihéros oubliés s’emparent des abords mal définis des avenues…

Aujourd’hui, on fête la rupture du Ramadan. Au Bangladesh, on fête également ce jour-là « Ekushay », le jour des martyrs de l’indépendance (1952) qui devait, selon la presse locale « protéger la dignité humaine et la liberté d’expression ». Le Ramadans symbolise une traversée du désert, mais je me demande si le Bangladesh n’est pas précisément un désert éternel…

Film porno

Par curiosité, j’allais voir un film pornographique réservé aux hommes. Une guerre invraisemblable commence aux caisses où il faut jouer des coudes. La salle s’enflamme de vant de jeunes prostituées d’Asie du Sud-Est: un film de série B destiné au tiers-monde. Mes oreilles captent dans l’atmosphère survoltée un océan de frustrations dévastateur, des conventions, l’appel des mollahs, la corruption des leaders politiques, l’espoir floué d’une jeunesse en surnombre, l’urgence de l’amour.

Mais l’obscénité est ailleurs que sur l’écran: gamins cireurs de chaussures qui s’accrochent aux pantalons ou me tirent par la main, fous dévêtus sur la chaussées, complètement absents, à qui personne ne prête attention.

Claude Marthaler

Demain: L’Himalaya semble à un jet de pierre de Darjeeling

L’Eurasie à vélo par Claude Marthaler, La Tribune de Genève, 15 janvier 1997