L’Eurasie à vélo #50: Hyderabad recèle de trésor de l’art islamique

Publié le 01/05/2022

Dans ce fief musulman, des femmes voilées côtoient sans détour de jeunes étudiants sur des scooters. Et malgré la prohibition, l’alcool coule à flots

L’Inde contemporaine poursuit d’arrache-pied la fabrication de monuments à la gloire de ses personnages. Le sort réservé à ses morts semble meilleur que celui réservé aux vivants. A Sriperumdur, Rajiv Gandhi a été assassiné en pleine campagne électorale, un jour du printemps 1991. Cinq ans après sa mort, on y construit un mémorial bordé d’une vaste enceinte en ciment. Tandis que les demeures d’aujourd’hui en pisé, fondent comme neige au soleil sous les cyclones fréquents du Golf de Bengale.

Une simple photographie couleurs, suspendue dans une maisonnette de verre hexagonale, attire un groupe d’Indiens de Malaisie. Un panneau indique qu’il est interdit de voler de la terre., sanctifiée, du lieu de son assassinat. Un peu plus loin, sa mère avait droit à sa copie en marbre noir et même un collier de fleurs oranges qui pend à son coup. Le lieu n’a pourtant rien de bien magique, mais il va, pour sûr dans les années à venir, devenir un haut lieu de pèlerinage, un de plus. Les tours-opérateurs font déjà le bonheur des quelques « tea-stalls » et vendeurs de pacotilles qui s’enrichissent plus vite que la lumière. C’est un miracle indien, un de plus. Ici, il est même possible de téléphoner à New-York ou faxer à Tokyo pour dire l’émotion suscitée par la mort de cet homme politique.

« Mon pays a tellement de problème »

Dans le petit pays où je loge, un banquier, par la porte entrebâillée de sa chambre, m’aperçoit alors que je me démène à caser mes lourdes sacoches. Il m’invite à boire un thé et me concède: « Mon pays a tellement de problèmes, mais l’aimez-vous? » « L’exode des cerveuax est terrible, la démographie, la corruption… mais nous, Indiens, nous pouvons nous adapter à toutes les situations, contrairement aux Anglais ou Américains qui ne s’adapteront jamais à l’Inde ». Sa chambre est aussi misérable que la mienne, et demain, il sera à nouveau sur la route dans son costume-cravate. « Tenez, me fait-il et me tend un stylo: « L’homme n’aspire-t-il pas à deux choses, la reconnaissance de son travail et son salaire? » J’acquiesce et le fait rire en traduisant le mot inscrit en français sur son stylo: « l’incorruptible »…

L’alcool coule à flots

A l’approche d’Hyderabad, de vastes prairies d’herbes sèches et jaunies succèdent aux champs de coton. Le vent, à peine perceptible, indique le nord où la route s’enfuit au-delà de collines douces flanquées d’arbres magnifique et solitaires. Ce fief, musulman recèle des trésors d’art islamique avec la forteresse de Golkond, à la Nécropole de Qutlo-Shahi. Aujourd’hui, des femmes voilées fraient sans détour de jeunes étudiants sur des scooters. De riches marchands s’essaient, montre en or au poignet et barbe taillée, sur le capot de leur Ambassador blanches qui semblent tout droit sorties de l’usine. Ils passent le plus clair de leur temps assis comme nababs au-devant du Charminar, une sorte d’arc de Triomphe blanc à quatre côtés et minarets. Dans les grands cafés, on sert le « biryani » et un thé au lait bien meilleur qu’ailleurs. Juste derrière, il se trouve la grande mosquée sobre qui accueille un groupe de vieillards, tellement en osmose avec le lieu, qu’ils forment ensemble le pilier le plus sacré de la mosquée. Et malgré la prohibition qui règne, on aime à boire en Andhra Pradesh: dans les arrières-boutiques, l’alcool coule à flots dans les gosiers.

C.M.

L‘Eurasie à vélo par Claude Marthaler, La Tribune de Genève, 28 juillet 1996