L’Eurasie à vélo #48: Un fort vent d’occidentalisation souffle au sud de l’Inde

Publié le 29/04/2022

L’arrivée à Trivandrum, la pointe sud de l’Inde, est pour le moins humide. San crier gare, le ciel se déchire soudain. La pluie tombe abruptement et métamorphose en quelques instants la route en fleuve. Des trombes d’eau inondent les rizières. Les Indiens de massent alors jusqu’à la première accalmie sous les minuscules échoppes face à l’océan démonté. Un camion passe, creuse un sillon aquatique aussitôt englouti et élève des gerbes d’eau.

Les nombreux grands axes, pompeusement appelés National highways sont partout truffés de nids-de-poule. Des groupes de parias réparent un macadam de bric et de broc avec les moyens du bord: des paniers en osiers remplis de pierres concassées et du bitume chauffé dans des tonneaux éventrés. Les 300 millions de dieux, soit un pour trois habitants, doivent avoir une profonde aversion à la vitesse, car les prévisions les plus optimistes annoncent la construction de la première autoroute d’ici six à huit ans.

Quelques kilomètres plus au sud, Kavalam Beach. Haut lieu de rendez-vous dans les années 1970, aujourd’hui, la station balnéaire n’échappe à aucun guide de voyage. Sur le bord d’océan, les terrasses se suivent et se ressemblent. Avec leurs linges sans pli épousant des rocking-chairs, leurs fleurs et leurs bougies posées sur des tables basses, leur sable ratissé. Les menus emportent le premier venu dans un tour du monde des Alpes suisses au Fujiyama avec ses birchermuesli ou ses soupes aux nouilles. Quant à la musique, elle inspire de profonds relents nostalgiques, jouant de Bob Dylan à Bob Marley. Sous un toit de palmes, une TV affligée diffuse un film américain avec Kevin Koster en train de nager, largement suivi par un groupe de baigneurs qui tournent le dos à la mer.

A l’opposé, Kanyakumari, le cap Comorin, à la point sud de l’Inde, est un autre bout du monde. Des charrettes de briques passent à l’ombre de rangées d’arbres fantastiques dont les branches biscornues cernées de lianes décrivent des formes surprenantes contraire à tout alignement. Les « embarcations » sont tirées par des buffles aux cornes peintes, munies de cycmbales et de grelots qui répondent à leur démarche flasque et lente. Plus loin, une troupe de vautours dispute à quelques chiens un cadavre de buffle. La lente avancée des animaux révèle la vraie nature de ce bouillon de culture multimillénaire, insouciante du futur.

C.M.

L‘Eurasie à vélo par Claude Marthaler, La Tribune de Genève, 25 juillet 1996