L’Eurasie à vélo #36: L’Ombre de l’Elbruz

Publié le 17/04/2022

Quitté le refuge à trois heures du matin, emmitouflé pour contrecarrer le froid mordant la nuit. Le râle du vent, le rythme profond de mon souffle, le va-et-viens des bâtons de ski et la griffure des crampons sur la glace marquent les premières heures de la montée. Le soleil darde enfin ses rayons et l’Elbruz projette son ombre géante et triangulaire vers l’ouest. Alentour, une mer de nuages enveloppe jusqu’à 3500 m les reliefs. Au-delà, les hautes cimes dessinent une muraille crénelée et vacillante. Orphelin et souverain, l’Elbruz donne naissance à dix-huit glaciers à la ronde. La lave, dévastatrice, a cédé sa place à l’eau, source de vie.

Au sommet venté, à 5642 m, gît une plaque commémorative de 1943. C’est bien de libération qu’il s’agit out là-haut: pas un obstacle ne barre le regard, le vent remue ciel et terre, le soleil embrase le Caucase de la mer Noire à la mer Caspienne.

La tête encore pleine de montagnes, je retrouve le rythme du pédalier, bien décidé à me délester des trois bouteilles de vodka et d’une pastéque que la police m’a fourguées de force dans les sacoches, avant d’aborder un col à 2400 m d’altitude.

Et quitter la Russie, peut-être définitivement.

L’Eurasie à vélo par Claude Marthaler, La Tribune de Genève, été 1994