L’Eurasie à vélo #3: Bière et accordéon au Tyrol
Publié le 14/03/2022
Ce soir, je dors à deux pas d’un tremplin de saut à ski, au-dessus d’une magnifique basilique. Engoncé dans mon duvet, allongé sur une table de billard poussiéreuse de quelques lunes, je domine la vallée d’Innsbruck. J’ai pris soin de remplir deux autres seaux d’eau glacée à la fontaine voisine, pour me laver de la tête aux pieds.
Pâques approche. Toute l’Autriche monte à l’assaut de ses montagnes. Un flot ininterrompu de voitures franchit des rivières dévergondées sur de vieux ponts gardés par des curés en bois. Mes poumons s’emplissent d’hydrocarbure, ma peau se tanne. Anachronique, je croise sans cesse des mines burinées par le soleil de printemps qui rejoignent d’une démarche malaisée les remontées mécaniques. Au lever, je plie la tente sous une neige battante. Il fait quelques degrés à peine. En tirant les sardines, mes doigts s’engourdissent. Je casse deux oeufs durs sur mes semelles luisantes. Par bonheur, un groupe de Bavarois puise dans un tonneau une chope de bière que l’un d’eux me tend amicalement. L’un des leurs sort son accordéon pour me souhaiter bonne route. Dans le Tyrol, on attaque volontiers la journée de façon « costaud »: avec une kaiserbier (bière de l’empereur) et un oeuf au lat sur une tranche de lard suintante.
L’Eurasie à vélo par Claude Marthaler, La Tribune de Genève, été 1994