L’Eurasie à vélo #2: Derniers beignets à la crème
Publié le 13/03/2022
Je remonte le Plateau Suisse, secoué par des rafales de vent, hachuré de pluie, comme un vieux rafiot à la dérive. Zurich »La « City ». Au détour d’une courbe, j’appuie sur les pédales, ce levier magique capable de m’emmener au bout du monde. Au delà de la rambarde, des coups de seringue envoient – plus vite qu’il ne faut pour le dire – des vies sur le carreau. Je traverse le pont de Letten. La rivière en contrebas joint et sépare nos deux mondes, à la fois si proches et si lointains.
« Gute Reise! » me lance un paysan en me tendant deux pommes de son verger. Un vent chaud parcourt ce relief estompé, piqué de formes cossues et de clochers. Les cumulus font la course sur le massif étincellant des Alpes glaronaises. Au sommet d’un col, mes jambes tremblent et je fais halte à l’auberge. Une serveuse, aussi sympathique qu’une porte de grange, me « fait le plein »: beignets aux pommes arrosés de crème vanille. Entre deux bouchées, j’entends causer les motards, de cuir, de kilomètres, de cyclindrées et de midinettes. L’hiver recouvre la canton d’Apenzell d’une chape neigeuse qui ne me quittera plus jusqu’à Vienne!
L’Eurasie à vélo par Claude Marthaler, La Tribune de Genève, été 1994