L’Eurasie à vélo #17: Le vent de la steppe

Publié le 28/03/2022

Brûlée de soleil, la steppe jaunie s’échappe aux quatre coins de l’horizon. Le globe entier prend des aspects de vieille peau fripée, ridée par des rivières depuis longtemps asséchées. Le râle du vent siffle contre les tympans, fouette mon visage et les sangles des sacoches. Le pneumatiques collent au goudron de cette route déserte. Face au vent, je fais corps avec ma bicyclette comme l’Ukrainien et le lard ou le Russe et la vodka.

En filigrane, je me love et calfeutre ma yourte intérieure de pensée et de rêves pour échapper aux bordées tenaces que me flanque le vent. Né pour ainsi dire au pied des Alpes, cette steppe me donne le vertige horizontal: aucun repère, ni un arbre, ni une ondulation de la terre. Je m’extirpe de cette torpeur par des soupes d’orge où flottent des ronds de graisse, ou les morceaux de pain sont aussi durs que la pierre: les restaurant d’Etat semblent eux-mêmes emportés par le coup de vent de la steppe. Deux à trois jours de ce régime qui balaie tout sur son passage me propulsent hors du monde – au-delà dans un état d’étourdissement proche de l’ébriété.

L’Eurasie à vélo par Claude Marthaler, La Tribune de Genève, été 1994