L’Eurasie à vélo #16: Comme une bête traquée
Publié le 27/03/2022
Ces instants de violence – deux agressions en trois jours – me laissent présager du pire pour la suite du voyage: une attaque armée. Désormais, je scrute l’horizon. A la vue de piétons, j’emporte le milieu de la route et accélère. Je suis constamment aux aguets, comme une bête traquée. Sur la route d’Odessa, j’ai la hantise d’une agression au somment d’une montée. Je ne suis pas un kamikaze.
Sur le périphérique de la ville, des personnes attablées au milieu de la route vendent des limonades déjà tièdes sous le soleil ardent qui marque l’arrivée de l’été.
4600 km de route pour atteindre la mer Noire, un détour qui en vaut la peine. Le paysage prend insensiblement l’accent maritime: terres sèches et soufflées, habitations blanches et éparses. Au-delà du port, en face, la Turquie, que j’ai traversée à vélo en 1991, de retour des Indes. La guerre fait rage dans la région du Caucase et menace la Crimée: tous les bateaux pour Yalta ont été suspendus. Si la Russie s’étend d’Est et Ouest sur 12000 km, à force de louvoyer entre visas, guerre, saisons et rencontres, je doublerai presque la mise pour atteindre un jour… le Pacifique!
L’Eurasie à vélo par Claude Marthaler, La Tribune de Genève, été 1994