L’Eurasie à vélo #15: Les voleurs de bicyclette
Publié le 26/03/2022
Deux jours après mon agression, départ matinal. Atmosphère tendue de poussière, de soleil et de vent. La route gondole et traverse une série d’estuaires. Je me bats comme un chien contre le vent. Seule une courbe de la route pourrait m’épargner cette lutte continuelle. Et pourtant après cette première attaque, je ne crains ni ne maudis plus la tempête. Soudain, sans que j’aie le temps de m’en apercevoir, deux hommes parviennent à me barrer la route, m’extorquent ma montre par des menaces physiques et s’enfuient avec ma bicyclette. Cette fois-ci, carrément agressif, je me bat et tente de faire ralentir quelques véhicules. Par chance, une voiture de police assez vite et cueille les deux lascars. Je les retrouve plaqués en équerre sur le capot et le coffre de la voiture, menottes au poing.
Au village de Berezansca, le commissaire s’en va chercher l’unique personne capable de traduire mes propos: l’institutrice. Je passe sept heures dans ce poste de police, la gorge serrée: c’est la première fois de ma vie que j’envoie deux personnes (19 et 27 ans en prison. Décor austère de tapisseries déteintes, de radiateurs éventrés, d’ampoules cassées. Du bureau du commissaire, un petit poste de radio diffuse une chanson des « Scorpions ». Un expert note scrupuleusement les marques et la valeur de mon appareil photo, mesurant les format de l’appareil photo, la longueur de l’objectif; visiblement, il ne connaît rien aux lois de l’image.
L’Eurasie à vélo par Claude Marthaler, La Tribune de Genève, été 1994