L’Eurasie à vélo #13: Quatre mille mètres carrés dans les mollets
Publié le 24/03/2022
Le 9 mai, jour de double commémoration: l’armistice de 1945 et le jour des morts. La tombe du soldat inconnu accueille la foule des « vétérans » (anciens combattants) qui déposent une gerbe de fleurs ou élèvent une parole en souvenir.
Au cimetière, les familles arrivent en masse pour manger sur l’emplacement même des tombes où chaises et tables sont installées en permanence. Façon d’exorciser la mort. Selon la tradition russe, on offre au mort des fleurs, un pain de Pâques, des bonbons, des oeufs et un verre de vodka. Ces verres-là n’échappent pas aux alcooliques qui font le tour du cimetière, ni la nourriture aux mendiants qui font la manche. Avalé un « bortsch » dans un restaurant aux lumières éteintes, repris le rythme de croisière contre un vent qui m’envoie sa volée de bois vert. Je roule en « pilotage automatique », lente méditation, absence de réflexion, le vide. Toute mon énergie concentrée à pédaler. Je fête quatre mille kilomètres et deux mois de voyage sans réellement m’en rendre compte. Plus d’eau dans les bidons. Des chocolats ukrainiens secs depuis longtemps pour tout festin.
L’Eurasie à vélo par Claude Marthaler, La Tribune de Genève, été 1994