L’Eurasie à vélo #11: Jours de Pâques et du travail
Publié le 22/03/2022
Kiev, Ukraine, 1er Mai. Sur une place qui domine le fleuve Dniepr, deux hauts-parleurs diffusent des chants patriotiques. Militaires et civils s’y rendent en masse, un drapeau rouge ou des tulipes à la main. Les vétérans de la « Grande guerre ». tapissés de médailles, ont revêtu leurs plus belles tenues. Un peu plus loin, les bulbes dorés de la cathédrale Sainte-Sophie recueillent les chants fervents des fidèles. L’Ukraine célèbre aujourd’hui la Pâque orthodoxe et les vestiges de la Fête du travail. Quitté une banlieue plutôt sordide de façades lézardées, de vitres remplacées par du plastique, de terrains vagues, de rêves brisés. Route bordée de peupliers. Je file à vive allure grâce au vent complice. Au somment d’une montée, une homme, toutes dents en or dehors, me fait singe de la main. Il vend du poisson séché, que l’on mange volontiers avec une bière. De son side-car embusqué, il tire un jerrycan de smetana (crème) et remplit un de mes bidons. Je lui tends une bouteille de vodka « russkaya ».
Traversés de nombreux isthmes, fouettés par les vents, bordés de roseaux où des pêcheurs jettent leurs cannes dans le Dniepr, ce fleuve de 2200 km dont je suivrai le cours tranquille jusqu’à la mer Noire. Je trouve refuge dans les restaurants, de piètres cahutes au diapason d’une radio. Bien vite accueilli autour d’une table, serrés les uns contres les autres à « taper » dans les innombrables plats froids (oeufs, lard, pain de Pâques fourré à la viande) à parler bruyamment. Atmosphère égayée par les verres toujours pleins et subitement vides de vodka, vin et bière. Un accordéoniste entame une série de chansons. En Ukraine,comme en Russie, chacun est capable de gratter la guitare et connaît les chansons populaires.
L’Eurasie à vélo par Claude Marthaler, La Tribune de Genève, été 1994