L’Eurasie à vélo #10: Bain, vodka et raviolis ukrainiens
Publié le 21/03/2022
Deux grosses cylindrées immatriculées en Allemagne parquent sur le côté. Fumet de viande. Depuis belle lurette, j’ai caboté sur ce revêtement pointu comme un silex, et la faim me tenaille. Un demi-kilo de viande fera l’affaire. Le chauffeur dit, en montrant e bout de son petit doigt: « Au Kazakhstan, les chachliks sont petits comme ça! » Il me reste 5000 km à parcourir pour atteindre Alma-Ata, essentiellement de la steppe, c’est-à-dire que je n’ai pas encore mangé mon pain noir. Le froid de canard, aux pieds, aux mains, les rideaux de pluie, me disent mieux qu’en paroles l’immensité d’un pays. Mes roues rebondissent mal sur le macadam qui me secoue comme un shaker. Régulièrement, les automobilistes crèvent et regonflent leurs pneus avec une pompe à pied.
En uniforme
Face à l’adversité de certaines journées, je trouve aouvent du réconfort aux lueurs du couchant, chez l’habitant, qui me fait couler un bain, prépare des vareniki (raviolis ukrainiens), me réchauffe les coeur et ouvre l’incontournable bouteille de schnaps. Les Ukrainiens ont le coeur sur la main.
Un jour , deux officiers de l’unité de parachutisme m’introduisent dans leur caserne, A l’intérieur d’un dépôt de matériel, ils me revêtent en deux temps trois mouvements d’un uniforme d’officier, puis me prennent en photo autour de bâtiments. La bicyclette est un vrai passe-partout.
Je campe à 18 km de Kiev à 2 dollars la nuit aux côtés des camions TIR qui parcourent l’Europe et la Russie. Mon vélo est à l’abri dans la cabine de garde du parc à véhicules. Le bruit a vite parcouru le monde chaleureux qu’un petit Suisse était en route pour le Japon à vélo.
Vers le soleil
Kiev, latitude de Francfort, longitude d’Istanbul, 100 km au sud de Tchernobyl, 34 km derrière, combien devant? Un dicton de voyageur: « Pédale vers le soleil, que ton ombre te suive! » Cap à l’est, ce doit être la bonne direction.
L’Eurasie à vélo par Claude Marthaler, La Tribune de Genève, été 1994