L’Eurasie à vélo #1: Introduction et « Premiers coups de pédales »
Publié le 12/03/2022
Il y a 28 ans, jour pour jour, le 12 MARS 1994, le yak prenait à Genève la route pour le Japon:
UN GENEVOIS DÉCOUVRE L’EST SUR SON DEUX ROUES
Pendant l’été, Claude Marthaler nous raconte chaque jour un épisode de son épopée vélocipédique. Il roule vers le Japon.
Le samedi 12 mars, vers 10 heures du matin, Claude Marthaler enfourche sa bicyclette devant le Café de la Plaine-Lune. En s’engageant ainsi sur l’avenue du Mail, il donne les premiers coups de pédale qui doivent le conduire, un jour, dans l’Empire du soleil levant. Entre deux cols et deux crevaisons, les vrais plaisirs du vélo, ce Genevois va nous raconter chaque jour, pendant tout l’été, ses folles aventures.
Claude Marthaler roule sur un mountain-bike de 16 kilos à vide. Chargée, sa monture pèse entre 60 et 75 kilos. Cet éducateur de 33 ans passe souvent pour un fou. Il n’en est pourtant pas à sa première expédition. Entre 1988 et 1991, il a poussé la balade jusqu’aux Indes. Il a même affronté quelques côtes himalayennes.
« Le mal dont j’ai le plus souffert, c’est la carence alimentaire. Entre les choux, le riz et les patates, j’avais du mal à recouvrer des forces tous les jours » relève le voyageur. Grand, brun, bien balancé et forcément muni de mollets d’acier, Claude Marthaler découvre ainsi le monde en pédalant. Il compte atteindre Vladivostok ou Shanghai d’ici deux ans. De là, il prendra le bateau pour le Japon avant de prendre l’avion pour revenir au Café de la Plaine-Lune. « Mais je n’ai pas du tout l’intention de réaliser un exploit sportif. Pour moi, le vélo est d’abord un moyen de communication. Il permet de rencontrer les gens sans les déranger », explique le cycliste.
Claude Marthaler va partager ses aventures, ses bonheurs et ses tristesses avec les lecteurs de La Tribune. L’épopée commence aujourd’hui aux Pâquis et se poursuit sur les routes fribourgeoises. Mais le héros continuera sa route en Hongrie, goûtera aux raviolis ukrainiens et frôlera la mort sur la route d’Odessa.
Philippe Rodrik
Premiers coups de pédales
12 mars 1994. J’enfourche ma bicyclette en douceur, pour une traversée de l’Eurasie. Mon engin tient du camion, du tracteur ou du bourricot. Je tangue à droite, à gauche. Les ultimes semaines de préparatifs, la tournée des amis, ont pesé lourd sur mon sommeil. Jonction, Plainpalais, Pâquis : les quartiers défilent et j’ai grand peine à imaginer au bout de la route, l’Empire du Soleil levant.
Parcourant mon pays à bicyclette, j’ai la nette impression d’agrandir chaque jour un plus ses dimensions. Dans un restaurant de campagne du pays de Fribourg, je me sens déjà au bout du monde. Le serveur, tamoul, me rapproche à mi-chemin du Japon. Temps maussade, la pluie clapote contre les boilles de lait retournées dans les fermes, l’odeur des tas de fumier se répand à la ronde.
Sous un ciel chamboulé par de grandes masses d’air froid, j’immortalise une vieille femmes. Elle a tout de la paysanne russe : accoutrement défait, pull de laine troué, visage crevassé ceint d’un foulard, mains épaisses et rêches. Elle tire un lourd chariot de copeaux de bois et passe devant l’interminable haie de peupliers qui mène au pénitentier de Bellechasse.
Quelques mirages, partis de Payerne, froissent avec véhémence le ciel tourmenté.
C.M.
L’Eurasie à vélo par Claude Marthaler, La Tribune de Genève, 4.7.1994