Great Divide #8, Selle que j aime!

Publié le 03/08/2018

Dans une lumière fondante qui allonge les ombres, approfondi les pensées et laisse tant de place à la rêverie créative, une sérénité bienveillante s’empare de mon être. En ces instants de grâce – une célébration constante de la pure joie d’être au monde – le roulis de mon pédalier laisse le monde m’inonder. Le soleil incendie les prairies de sauge et d’herbes folles, il embrase le cercle des fines crêtes alentour.

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J’embrasse la terre rosifiée par les chaudes couleurs du couchant. On ne voyage pas longtemps pour arriver, mais pour rester plus longtemps dans cet état d’attention flottante, cette porosité ou tout peut arriver, où la fatigue et la faim nous font apprécier le repas le plus simple et une nuit sous tente, bercé par les cris des innombrables oiseaux de cette rivière aux rives marécageuses.  Veni, vedi, bici.

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Ma selle vient de rendre l’âme sur la piste cahoteuse et je dois impérativement la changer. Je sais que la mécanique du yak parle – souvent même un rupture augure-t-elle d’une belle rencontre imprévue. J’ajoute donc un second détour à l’itinéraire de la Great Divide et pédale plein Sud vers Jackson Hole pour tenter d’en trouver une nouvelle.

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Je suis de ceux qui ne croient qu’au hasard et c’en fut un. Au moment de quitter un magasin de vélo avec une nouvelle selle sous le bras, un mécanicien m’a senti le frôler, simplement pour l’éviter. Il pointe son regard à l’extérieur. En apercevant mon vélo, il reconnaît aussitôt le yak, à la selle et aux grosses sacoches. Il pivote et plante son regard dans le mien: « You remember me? ». Il me faut quelques secondes pour me souvenir. Nous nous enlaçons, fortement émus jusqu’aux larmes. Jamie Ponsiglione, dit « Super Pollo » a été mon compagnon de route pendant plusieurs mois à l’hiver 1998-99, bravant sans aucune anicroche, l’insatiable vent patagon sur la Carretara Austral et la Ruta 40. Le destin nous unit jusqu’à Ushuaïa, « El fin del mundo ».

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J’ai rencontré Jamie à Villarica (Chili), un cycliste américain qui avait débuté son voyage à vélo, seul et sans expérience, il y a un mois, à Temuco, au centre du pays. Enfant adoptif, à 25 ans, il n’avait jusqu’alors rencontré sa vraie mère que pendant quatre heures. Jamie avait alors l’intention, après une traversée des Etats-Unis, de se diriger vers « le début du monde »: sa mère, ce qu’il entreprit.

Ce voyage initiatique fut pour lui une expérience de transformation intérieure. Jamie était si riche de questions et moi, si pauvre en réponses. J’allais pour autant devenir sans savoir son mentor pour le voyage à vélo.

Revoir un pays ou retrouver un ami plus vu depuis tant d’années, c’est comme si c’était hier, comme si rien n’avait changé. « Soyez vous-même, tous les autres sont déjà pris » (Oscar Wilde).

Great Divide #8, Selle que j'aime! 4Lire aussi The beginning of the world et  At open hearth (1999)

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