Great Divide #2, Bienvenue au Trumpistan!

Publié le 17/07/2018

Un vent furibond qui se fiche des frontières me retient un peu plus au Canada sur cette plaine dont j’avais pour un temps oublié l’existence.  Posée comme un non-lieu sur l’étendue -le piéton semble semble ici un intrus, voir un homme mort – je crois enfin apercevoir une grosse structure métallique bardée de caméras posée sur une route  soudainement aussi large comme une piste d’atterrissage. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, Stefan Zweig écrivait que l’homme n’était rien sans son passeport, mais aux Etats-Unis, la plupart des Américains n’en possède pas, un simple permis de conduire suffit. Oui être Américain , c’est forcément être automobiliste.

Il faut montrer patte blanche pour entrer aux Etats-Unis. Après le silence des forêts, la puissance de l’appareil bureaucratique: « Vous êtes-vous rendus ces trois derniers mois aux USA? Faites-vous la Great Divide? me demande tour à tour le douanier de la Border protection. Une armoire à glace en uniforme qui me commande de son bon droit d’apposer méthodiquement mes quatre doigts de la main droite, le pouce, puis pareil de la main gauche.  De lever la tête pour une photo. Pas un mot de trop et la quittance: « Six dollars! » En matière de bienvenue à une frontière, j’ai connu mieux, mais jamais pire. Dans la plupart des pays, vous commettez d’abord un larcin puis on vous enregistre vos empreintes digitales. Non, l’Amérique serait différente, hors du monde, un american way of life qu’il faudrait défendre coûte que coûte, car tout le monde y aspirerait.

« Tweet, sleep, repeat » annonce une publicité. D’entrée, richesse et précarité se touchent: un terrain de golf, des chevaux, et des cabin (logements en préfabriqué devenus définitivement provisoires) et des voitures, beaucoup de voitures éparpillées sur des terrains vagues. Certaines ont trouvé là d’auspicieux cimetières inavoués. A la première station-service, de robustes 4 x 4 surdimensionnés vont et viennent dans un ballet incessant, sans aucune parole échangée. Des moteurs ronronnants, presque une atmosphère diffuse et carnivore de moteurs vrombissants, sans état d’âme. « Nice to meat you » affiche d’ailleurs le fast-food adjacent. A la caisse, je grelotte presque, la climatisation est poussée à fond, comme partout je m’en apercevrai. On peine à comprendre que je ne veuille acheter qu’un  seul litre d’essence – pour mon vélomoteur? L’or noir est bon marché et se vend par gallon. Mon réchaud de fabrication canadienne est pourtant bel et bien d’origine américaine.

La route gondole à travers la ville-rue d’Eureka qui rappelle le far-west. Aussitôt quittée, il n’y a plus âme qui vive à qui demander la direction. Aussi grand que la France, le Montana ne compte qu’un million d’habitants, un territoire recouvert d’un tapis végétal infini où l’on fait tôt de se tromper, de se perdre, un façon de nous rappeler notre insignifiance.

J’ai pourtant hâte de poursuivre l’itinéraire échevelé composé d’anciennes pistes de bûcherons ou de chasseurs, parfois de sentiers, qui franchissent des cols,  traversent des coulées de pierres à jamais arrêtées dans leur course. Des forêts de mélèzes calcinées par un feu d’origine naturelle augurent d’une sinistre vision de fin du monde : troncs gris couchés en désordre, paysage dévasté. C’est souvent le vent qui peut atteindre 209 km/h qui déclenche des avalanches de neige. Des corridors  permettent aux grizzlis de passer et parfois de mettre bas. La Great Divide mène vers des territoires peu parcourus où l’on aurait a priori aucune raison de se rendre, une autre façon de ressentir  – mais pour combien de temps encore ? – cet espace sauvage que Trump dépèce et ouvre sans vergogne à l’exploitation.