Great Divide # 1, The mud-life crisis

Publié le 11/07/2018

Le 29 juin 2018, j’ai quitté la ville de Banff et son Fairmont Banff Springs Hotel, immense manoir de pierre dont la première version fut construite en bois en 1888 et brûla. Ultime signe de civilisation?

Une pompe à pied et des outils suspendus à l’intention des cyclistes, puis la piste s’enfonce dans la forêt. Avec elle disparaît un certain regard sur la vie sédentaire. Et tout à coup, le silence. On se sent à la fois englouti et enveloppé par cette nature débordante de vitalité. Plus précisément peuplée de chants d’oiseaux. Des passerelles de bois franchissent des ruisseaux ou des rivières gonflés d’eau cristalline. Tout est à déchiffrer, à commencer par la piste. Tour à tour terreuse, nervurée de racines, parsemée de pierrailles, de rigoles emplies d’eau, cette texture d’avant l’ère du pétrole est un langage à elle même qui impose la lenteur. Ses raidillons fréquents m’obligent à descendre de mon yak, à le pousser de tout mon soûl. La piste surélevée s’appuie à présent sur des pontons de bois, franchi parfois des zones marécageuses. C’est le pays de l’ours et du grizzli – et pour longtemps. Sur la partie nord de la Great Divide – ligne magique qui suit au plus près l’épine dorsale des Rocheuses- les ursidés règnent en maîtres absolu du vaste territoire.  Aussi bien l’espoir que la crainte de les voir surgir à tout moment m’habitent durant cette traversée tout en dents de scie verticales et horizontales. Les hommes pédalent, les histoires circulent, il y aura toujours le cycliste qui a vu le cycliste qui a vu l’ours.

La piste donne parfois du fil à retordre à mon sens de l’orientation, à mes  jambes molles, tout juste dépliées d’une traversée aérienne transatlantique. Habitué à des périples aux contours indéfinis, quelle mouche m’a donc piqué de choisir cette piste topographiée? Un soleil cinglant perce le ciel nuageux et l’on jure hélas celui-ci, dès le premier coup d’oeil, solidement installé. Qu’il pleuve et le paysage de sapins se noirci, qu’un jet de lumière arrose un pan de forêt et le paysage tout entier resplendit. Le voyage à vélo est d’abord une expérience climatique qui infléchi l’humeur. Mais c’est tout de même à une vision romantique qu’invite ce long fil d’Ariane au bout duquel, on le sait d’avance, compétiteur ou contemplatif, on ne trouve que soit même.

La Great Divide ne m’aura pas longtemps abandonné à ma solitude. Trois joyeux lurons, des Canadiens de ma génération, me suivent de près et m’adoptent aussitôt. Une pluie incessante nous poursuit et nous unit pendant les quatre premiers jours. Les gardes-boues n’ont jamais aussi bien porté leur nom et nous vivons une  véritable « mud-life crisis ».

Qu’importe la cadence, elle sera mienne. Les records ne m’ont jamais tenté et trois mois à disposition me permettent d’adopter un rythme suffisamment lent. J’ai tôt fait d’apprécier leur sens de l’humour, nos échanges empreints de légèreté plutôt que la distance à parcourir. Réitérant le mythe de Sysiphe jour après jour, je pointe allègrement mon guidon vers le Sud.