Carnet de route Afrique- Asie #78: Claude Marthaler, le nomade à vélo: un mode de vie plus qu’un voyage

Publié le 07/05/2024

C’est par cette interview que m’a accordé Georges Blanc, alors responsable de la section Sports du quotidien suisse romand La Liberté que se termine la publication hebdomadaire de ma chronique Carnet de route Afrique-Asie sur mon site internet commencée le 8 octobre 2022.

INTERVIEW – Le cyclonaute est rentré après trois ans à rouler, surtout en Afrique et en Asie. Il jette un regard en arrière, évoquant l’expérience nouvelle de voyager à deux.

GEORGES BLANC

8 octobre 2005-10 août 2008: c’est le résumé en temps du dernier voyage du cyclonaute genevois Claude Marthaler, accompagné durant le deux tiers de sa nouvelle aventure à vélo par son amie Nathalie. Rouler à deux était une expérience nouvelle pour Marthaler qui a régulièrement livré une chronique pour les lecteurs de « La Liberté ». En guise de point final, nous l’avons rencontré au terme d’un périple de plus de trois ans qui l’aura conduit un an en Afrique du Nord et deux ans en Asie, soit entre autres, la Tunisie, la Libye, l’Egypte, le Soudan, l’Ethiopie, Djibouti, le Yémen, l’Inde, le Népal, le Tibet, le Tadjikistan, le Kirghizstan, la Chine, à nouveau le Tibet, la Birmanie, le Laos, le Cambodge et la Thaïlande. Au total, quelque 35’000 kilomètres.

Claude Mathaler, quelles étaient vos motivations pour ce nouveau voyage?

Je faisais une expérience nouvelle en voyageant en couple avec Nathalie. On étais partis sans savoir pour combien de temps. Quand j’ai fait le tour du monde en sept ans, je ne voulais aller qu’au Japon… Comme on s’est mis en route en octobre, c’est pour des raisons climatiques qu’on s’est dirigé d’abord vers l’Afrique du Nord.

Nouveau voyage n’est peut-être pas la bonne expression car finalement vous ne faites que ça, pourrait-on vous dire en plaisantant?

Ce n’est pas faux. J’ai 48 ans (ndlr: né en 1960) et j’en ai passé une quinzaine à voyager. Je peux dire que c’est devenu partiellement un mode de vie. J’aime cette vie de nomade, de liberté, de découvertes, de vie en plein air.

La grande nouveauté était de tenter un voyage à deux avec votre amie Nathalie. Quel bilan tirez-vous?

On se connaissait relativement peu avant de partir. Sportive, Nathalie qui a 49 ans, n’avait jamais fait de voyage à vélo. Les trois premiers mois ont été marqués par de nombreuses crises avec des envies d’abandon. Il fallait s’ajuster l’un l’autre et trouver notre rythme de croisière.

Il y a tout de même des avantages à rouler à deux?

On a des caractères différents, des points de vue différents et cela donne un bon partage face à la réalité. Une grande complicité s’est créée entre nous. Je n’ai aucun regret. Pour l’écriture, on s’aidait. on a vécu des moments très heureux et le plaisir partagé est amplifié.

Nathalie n’a fait « que » deux ans sur trois?

La très grosse chaleur au Soudan et le froid au Tibet où j’ai eu peur d’avoir les pieds gelés, ont constitués des obstacles. Nathalie voulait aussi assumer son rôle de grand-maman. Elle a eu des triplés à l’âge de 20 ans et maintenant elle a deux petits-enfants qui ont et 3 ans et 5 ans et demin.

De votre côté, vous avez mis un point final abrupt à votre voyage?

Rien n’était programmé, mais le retour était dans l’air depuis un moment. Je voulais revoir Nathalie et aussi mes parents. Mon père a 82 ans et ma mère 79. Il y avait aussi l’anniversaire de la mort de mon frère, survenue il y a 29 ans. J’avais besoin de connaître plus mes parents. Un de ces jours, ma mère m’a mère m’a invité à dîner avec mon père. Ils sont divorcés depuis 40 ans mais leur entente est cordiale. J’ai appris plein d’histoires que je ne connaissais pas. Enfin, dernière raison, je dois partir en Italie une dizaine de jours pour assurer la promotion de mon livre « Le chant des roues » qui a été traduit en italien.

Et le prochain voyage, c’est pour quand?

Les gens sont drôles. Je suis à peine de retour à Genève qu’on me demande déjà quand je vais repartir. Je veux d’abord finaliser ce voyage en espérant publier un troisième livre. Je crains la solitude de l’écriture qui est plus dure pour moi que la solitude du voyage. J’aimerais aussi faire une tournée avec un diaporama. Mais je n’ai pas dit mon dernier mot: c’est certain que ce n’est pas mon dernier voyage. J’évite les attaches matérielles pour être prêt à partir à tout moment.

« Tu est profondément humain sur ton vélo »

A travers quelques mots-clés, nous avons cherché à en savoir un peu plus sur cet étonnant aventurier à deux-roues qu’est Claude Marthaler.

Le vélo

Mes amis me charrient volontiers avec le vélo qui est une passion depuis mon enfance. On me dit que j’ai dû sortir du ventre de ma mère avec un petit vélo. Avec mes envies de liberté et de bouger, on me dit aussi que dans une vie antérieure, j’ai dû être enfermé dans un cachot. Je crois que je n’ai pas choisi le vélo, c’est le vélo qui m’a choisi. C’est un super instrument de découvertes. Sur un vélo, je suis très heureux. C’est un engin simple qui permet de faire plein de trucs en toute indépendance. Mais j’adore aussi la marche à pied, la montagne.

L’effort physique

Là, quand je suis rentré, je n’ai pas pu tenir. J’ai pas mal roulé. Je suis comme une locomotive lancée à pleine vapeur, je ne peux pas m’arrêter brusquement. L’effort physique est indispensable à mon équilibre général. Mais je n’ai pas du tout l’esprit compétitif.

La peur

Je ne suis pas spécialement peureux. Il y a un paradoxe avec le vélo. Comme tu n’a pas de protection, que tu es exposé, c’est plutôt une sécurité pour les gens que tu rencontres. Couvert de poussière, transpirant, fatigué, tu est profondément humain sur ton vélo. Je n’ai ni été attaqué, ne volé. Je ne dis pas que tout le monde est beau et gentil, mais d’après mon expérience, je dirais que la plupart des gens te veulent du bien. Si je prends la Libye par exemple, le régime est une chose et les gens une autre. Ce qui me ferait peur, c’est plutôt une vie régulière, me dire que demain matin, je devrais être à huit heures au bureau.

La solitude

La solitude n’est pas une caractéristique d’un voyageur à vélo. La solitude profonde est existentielle, se trouver seul face à son destin. Elle peut être belle en voyage dans les rapports avec la nature, les grands espaces. C’est comme une matrice terrestre.

Les rencontres

Ce sont souvent les meilleurs moments d’un voyage. Tu rigoles avec des inconnus. Il te font découvrir leur intimité familiale. J’ai fait aussi de super rencontres dans un pays très fermé comme la Libye. Au Soudan, les gens sont d’une gentillesse incroyable. C’est étonnant de voir que les échanges les plus intenses, je les ai vécus dans des pays où il y a le plus de détresse comme le Soudan, le Tibet ou la Birmanie.

Le modernisme

En voyageant sans téléphone portable ni ordinateur portable, j’ai l’air de débarquer de la préhistoire. C’est vrai qu’internet a bouleversé le monde du voyage. Ce n’est plus l’époque où je disais à ceux qui devaient m’envoyer une lettre et l’adresser en poste restante dans un endroit où je devais passer six mois après. On trouve de l’eau minérale presque partout. C’est un grand changement.Maintenant, c’est difficile de trouver ce sentiment magique d’être en perdition, perdu au milieu de nulle part. GB