Carnet de route Afrique-Asie #72: Mandalay, « the bicycle city »
Publié le 26/03/2024
CARNET DE ROUTE #72 – Dans cette ville historique de la Birmanie, les vélos transportent au minimum trois personnes. Faire les foins à la birmane. Visite au site de Bagan.
CHIANG MAI
Lorsque Bouddha visita le centre de la Birmanie, il déclara qu’il serait propice de bâtir une ville pour le 2400e anniversaire de sa mort au pied de la colline de Mandalay… Ainsi fut fait par le roi Mindon. Thibaw, son successeur, fit assassiner non moins de 72 membres de sa famille pour asseoir son pouvoir, mais à l’exception totale de la Birmanie par les Anglais en 1885, il fut mis en exil en Inde.
13’000 trishaws
Aujourd’hui, à l’entrée du palais royal reconstruit, une banderole au discours orwellien, si semblable à la « novlangue » de 1984 annonce: « Tatmadaw (l’armée birmane) et le peuple, coopérez et exterminez tous ceux qui font du mal à l’Union (du Myanmar)… » Dans la plus pure tradition royale qui, à chaque dynastie, crée une nouvelle capitale, la junte construit Naypidaw, « la cité royale » depuis 2005, un camp retranché car, prétendent-ils, une attaque américaine est imminente..
A chaque intersection de Mandalay, surnommée « the bicycle city », les vélos tranportent au minimum trois persones et les motos de tris à cinq passagers. Dans cette ville historique, pousièrreuse et intolérablement chaude, les pédaleurs de trishaws se reposent, étendus sur leurs véhicules à l’ombre de grands arbres. Ils sont près de 13’000 à Mandalay oû une dizaine d’ateliers familiaux les construisent encore depuis les années quarante.
Des « said-ka », de singuliers vélo side-cars où les deux passagers se positionnent dos à dos et que l’on retrouve dans toutes les villes du Myanmar. Un adage chinois rapporte que: « Le notable qui se fait transporter en palanquin n’est qu’un homme, celui qui le porte aussi ». Mandalay, la cité aux cinq « p » selon George Orwell: pagodes, parias, porcs, prêtres et prostituées… et sixièmes, pédaleurs de trishaws.
Comme en Chine, les Birmans n’ont pas le droit d’héberger un étranger. Pour autant, ils e se privent pas de m’inviter souvent à manger. A Bagan un tailleur aux bras tatoués me dit: »Autrefois on mangeait pour vivre, aujourd’hui, on vit pour manger. »
L’histoire des 2 moines
Un tracteur chargé de bois pétarade devant sa boutique. « Regarde, ce sont des prisonniers en fin de peine qui logent dans l’ancienne léproserie construite par les Anglais. » Plus loin, des Birmans grimpent de fines échelles pour recueillir des noix de palmiers. Il en extraient une pâte molle qu’ils bouillent pour faire des sucreries. Des femmes drapées de sarongs portent le foin sur des balanciers et claquent leurs sandales en bois d’un son clair sur l’asphalte.
Il tient à me raconter cette histoire: « Un jour un vieux moine suivi d’un moinillon se retrouvent face à face avec un buffle qui les charge, excité par la couleur rouge de leurs robes. Le vieux opte pour la non-violence, mais le buffle ne l’entend pas de cette oreille… Seul le caillou lancé par le jeune moine le fait fuir. » Devant son bol de soupe de feuilles de tamarin, mon interlocuteur conclut: « Si ton ennemi utilise une couleur pour combattre, choisi la même! »
Déplacé de force
Sur le magnifique site archéologique de Bagan – plus de 2000 stupas construits entre le XIe et le XIIIe siècle – les habitants de l’ancienne ville ont été déplacés de force par le gouvernement, comme cela arrive en Egapte à chaque nouvelle découverte d’importance. A l’entrée du temple d’Amanda, le frère de Bouddha, un gamin aimerait échange sa pièce de deux francs suisses contre de l’argent local. « Les touristes aiment les vieilles pierres, nous, nous aimons les nouveaux temples » me glisse-t-il sans chercher à comprendre pourquoi.
Une vendeuse de tee-shirts m’invitera dans sa famille, en calèche, le mode de transport local. Son village sans électricité, est située au bord de l’Irrawady et beaucoup de ses habitants pratiquent la pêche. « A l’époque, nous n’avons re4u des autorités qu’un lopin de terre en échange. Faute d’argent, mon père n’a pu être soigné. Je ne gagne que 100 kyats par tee-shirt vendu (10 cents). J’ai dû arrêter d’étudier afin que mon frère puisse poursuivre ses études. Nous devons quitter cette mainson à la fin du mois, car le propriétaire la vendra, mais nous ne savons par où aller. »
Comme tant d’autres, sa famille est endetté. Peut-être l’octroi d’un microcrédit changerait-il sont destin? Je me sens mal à l’aise de manger seul à la bougie en présence de sa mère et de ses frères dissimulés dans la pénombre alentour. En Orient, il y a toujours des vides où personne n’ose se regarder dans les yeux, car la conversation s’est tarie.
Claude Marthaler, Chiang Mai, Thaïlande, 5 juin 2008, km 31266
Les Birmans sont « sympas, hospitaliers et… paresseux »
Le soir tombe et le hasard me conduit à boire un verre devant la clinique rudimentaire et couverte d’affiches antipalu et antisida de Thar Phone Kyaw, un docteur de 23 ans qui m’affirme gagner 150 dollars par moi, un salaire bien au-dessus de la moyenne. « Comment trouves-tu les Birmans? » « Sympas, hospitaliers et… paresseux, s’empresse-t-il d’ajouter.
La médecin ne va pas par quatre chemins pour diagnostiquer son gouvernement malade: « Des armes à la place du cerveau et de grosses poches pour l’argent! » La police sera-t-elle assez intelligente pour me laisser dormir ici? » « L’argent la rend parfois intelligente! » me répond-il du tac au tac, mais par prudence, il enfourche sa moto et me conduit au Mont-Popoa, un lieu sacré à une bonne heure de route qui est ouvert aux étrangers. Je lui paie l’essence et laisse mon vélo dans sa clinique. Des monastères et des stupas sont plantés sur un rocher à 1518 mètres d’altitude, semblables aux Météores. Les singes font un boucan d’enfer en traversant les toits en tôle ondulée du chemin de pèlerinage.
Le lendemain matin, le jeune médecin vient me chercher pour m’inviter au café: « Nous avons surtout à combattre contre deux grandes maladies: la dengue…et la junte militaires. Tous les pays voisins, Thaïlande, Inde, Chine, Vietnam progressent économiquement. Quant à notre pays, l’un des pays les plus pauvres de la planète, il coule à pic. »
Au lac Inle, les pêcheurs Itha pagayent d’une main et d’un pied en coinçant le manche derrière le talon. De ce monde aquatique avec ses maisons sur pilotis et ses champs de tomates flottants, idyllique vu de l’extérieur, je reprends la route vers le sud, croisant de lourds camions chargés de troncs de teck. J’ai l’intention de visiter Naypidaw, cette mystérieuse nouvelle capitale où les ambassades étrangères devront emménager avant 2010…
Je roule de nuit comme un aveugle. Le goudron défoncé me parle meiux que quiconque de ce « pays d’or » en me secouant sans que jamais je ne voie la nationale numéro 1, « la meilleure du pays ». Mais, à distance, une route fortement éclairée se profile. Une avenue à dix voies, propre à faire décoller des avions, traverse la campagne du Myanmar, comme une utopie totalitaire accomplie. Un mirage choquant dans ce pays éteint dès la tombée de la nuit tombé ou qui a si souvent recours à des générateurs pour faire face aux pannes de courant régulières.
Je m’arrête au carrefour qui mène à Naypidaw pour boire, mais aussitôt un policier en civil, suspicieux, m’interroge: Nationalité? Destination? Touriste? Désormais, la police ne me lâchera plus avant Yangon en transformant la fin de mon voyage au Myanmar en parcours du combattant. « Telle est la Birmanie où rien n’est pareil à ce qui se passe ailleurs » écrivit Kipling.
CM
in La Liberté , samedi 28 juin 2008