Carnet de route Afrique-Asie #48: L’attente d’un visa pour la Chine

Publié le 12/09/2023

CARNET DE ROUTE #48: Bloqué à Kathmandou, Claude Marthaler goûte « sans modération » aux délices de l’administration en espérant poursuivre son voyage.

Le haut mur de briques de la nouvelle ambassade chinoise de Kathmandou ressemble étrangement à la Grande Muraille qui retenait autrefois tant bien que mal les invasions mongoles successives venues du nord. Moines tibétains vêtus de lie-de-vin, touristes, occidentaux semblables à des escogriffes et agents de voyage népalais habitués du lieu se pressent et passent au compte-goutte à travers le « trou de l’aiguille ». Une lourde porte coulissante, à peine entrouverte, garde un planton. Trop petit pour dominer cette foule insistante, il prend pied sur la marche de cette « mâchoire métallique » et plie son genou pour barrer la mince ouverture, armé d’un simple lathi (bâton de bois)

Une langue bannie

Maîtres bâtisseurs de murs et as de la propagande, les Chinois ont suivi la marche de leur grand frère idéologique, l’ex-Union Soviétique. Ils y ont mis le paquet: caméras, vitres, barreaux, guichets à microphones, l’hermétisme absolu est de rigueur dans la salle d’attente. Un univers impersonnel, presque carcéral, avec un rouleau de tickets numérotés qui portent bien leur nom: « Business of visa » . Bien en vuee sur une étagère, une série de revues gratuites « China’s Tibet », en chinois, anglais et même en tibétain… Une langue pourtant bannie d’enseignements sur le haut plateau!

Je cherche les toilettes à grandes enjambées et aussitôt un garde népalais m’emboîte le pas, effrayé par mon inattendue liberté de mouvement. Il m’escorte aux WC. Ces lieux d’une propreté étincelante ne ressemblent en rien aux alignements de trous que l’on retrouve à travers toute la Chine où l’on fume invariablement sa cigarette, parcourt un journal ou décroche un regard surla paire de « demi-lunes »du « long-nez » (le Blanc)…

Visa impossible

Selon les agences de voyage de la capitale népalaise impossible d’obtenir de visa individuel pour la Chine. Thamel, le quartier touristique de la capitale, est d’ailleurs tapissé d’annonces Tibet Budget Travel: une visite au Pays des neiges (cinq fois la France), huit jours en 4 x 4 pour 550 dollars! C’est enfin notre tour au guichet. Officiellement, nous sommes en année sabatique et partons visiter La Grande Chine: Chengdu, Hong-Kong, Xian, Shanghai, Pékin. Un « si Grand Pays » exige du temps pour être parcouru! Les Chinois, nationalistes de coeur, ne peuvent qu’en convenir. Mais surtout pas un mot sur le Tibet ou le vélo… Un comble pour le premier produccteur mondial de bicyclettes! L’impassible employée introduit nos numéros de passeports. Sa faible voix filtrée par le micro m’interroge: « Trois mois? » J’ose prudemment: « Quatre? ». Sans un mot de plus, la face inexpressive, elle me glisse alors un billet rose: « 120 jours ». Victorieux, je lance un clin d’oeil à Nathalie. Elle sourit, saisissant instantanément que nous venions de remporter le premier round.

L’himalaya (en sanscrit him = neige et alaya = demeure) véhicule notre imaginaire, un vaste territoire reclus, sauvage et inaccessible. Tibet: terre mythique qui attire depuis toujours pèlerins, espions et explorateurs. Paradis perdu, meurtri par l’invasion chinoise de 1951-59. Les Chinois le savent: les touristes sont fous, car ils feraient n’importe quoi pour visiter le Tibet, le « Xinzang » – littéralement « La riche maison de l’ouest »…

La Chine communiste fait monter les enchères de sa chasse gardée en appliquant à la lettre les lois de l’offre et de la demande… Ainsi, chaque année, les tarifs augmentent. L’Inde, qui a pourtant reconnu le Tibet comme une partie intégrante de la République populaire de Chine (RPC) en échange d’une acceptation de « son  » Sikkim » est la plus mal lotie. Ses citoyens aisées paient ainsi une somme exorbitante (bien supérieure aux touristes occidentaux) pour effectuer l’important pèlerinage du mont Kailash, le trône de Shiva aux yeux des hindous.

Claude Marthaler, Kathmandou, Népal, le 6 mai 2007, km 21’447

La simplicité de 1996 a disparu

Il y a onze ans, tout était plus simple. Je quittais Kathmandou avec un visa émis à Hong-Kong (alors encore indépendante) en poche et franchissais la frontière sans ambages. Puis je traversais un à un tous les check-posts de police de nuit, à pas de loup. Mais aujourd’hui, on filtre la voix terrestre et on y annule sans complexe tous les visas individuels pourtant valables! Refoulés sur le champ au Népal,, un couple de cycliste écossais en a récemment fait les frais…

Les autorités chinoises ne seront sans doute jamais combien de cyclistes colériques, frustrés par leur intransigeance, traversent (même à la saison la plus chaude!) la plaine gangétique de l’Inde, remontent le Pakistan depuis Lahore, parviennent en Chine par le col du Kunjerab, pour finalement traverser le Tibet de l’ouest dans l’autre sens. Un détour de près de 3000 km!

Katmandou est à la fois un cul-de-sac et un camp de base pour le voyageur à vélo. Nous y rongeons nos freins depuis trois semaines et remuons ciel et terre pour trouver une brèche dans cette Chine monolithique. A tel point que nous avons le sentiment submergeant de vivre hors des réalités népalaises, acculés par une administration muette et sans scrupules , plus infranchissable que l’Himalaya. Même nos amis Eric et Christine, qui pourtant détenaient une lettre d’invitation officielle pour la Chine, n’ont pas réussi à s’y enfiler. Et un jour, nous cédons. Einstein avait raison: « La vie, c’est comme la bicyclette, il faut avancer pour ne pas perdre l’équilibre. » Mais pour entrer au Tibet, en tant que voyageur individuel depuis Katmandou, même en possession d’un visa chinois, le passage par une agence de voyage s’avère incontournable pour obtenir la série des quatre permis indispensables.

A l’aéroport de Lhassa, le voyageur sera conduit aussitôt en 4 x 4 à la capitale du TAR (Tibetan Autonomous Region) et enfin libre! Mais l’expulsion sera immédiate pour le passager qui emporterait avec lui des photos du dalaï-lama, considéré par les autorités de Pékin comme un criminel. Droit de passage moyenâgeux ou corruption institutionnalisée? Motus et bouche cousue. La réponse fuse pourtant aussi claire que de l’eau de roche. Selon certaines confidences, les officiels et les agences de voyage de Lhassa ainsi que l’ambassade du même nom de Katmandou travaillent main dans la main.

Le 4 mai, nous sommes fin prêts: visa chinois et billet d’avion en poche, vélos démontés et emballés. Un ami nous a emmené plus de 30 kg de bagages par la route pour Lhassa… mais nos permis d’entrée, tant attendus, ne sont toujours pas arrivés. Les autorités du TAR croulent sous des milliers de demandes, mais leurs bureaux sont fermés une semaine pour célébrer le 1er mai (fête du travail et création de la RPC). Sans permis, pas de vol possible, sans nouveau billet d’avion, pas de départ. Bref, un vrai casse-tête chinois!

CM in La Liberté, 24 mai 2007