Carnet de route Afrique-Asie #15: Quand la formule « Welcome to Egypt » prend un goût avarié

Publié le 17/01/2023

CARNET DE ROUTE. LE CAIRE-SUEZ-SINAÏ (15) – Drôle d’Egypte où la police souhaite la bienvenue de façon bien maladroite. 43 degrés dans le canyon aux 12’000 palmiers

Sur ordre de la police, nous traversons le tunnel qui passe sous le canal de Suez sur un pick-up. Des armes lourdes pointées dépassent de minuscules fortins et rappellent les guerres d 1967 et de 1971 avec Israël, le pays dont personne ici n’ose jamais prononcer le mot. Le haut des paquebots dépasse juste du désert et donne une touche surréelle à ce paysage émacié de sable clair.

Le nombre élevé de postes de contrôles nous permet de boire un peu d’eau fraîche et d’observer l’air de rien la palette des comportements des policiers: les lèches-bottes, les futurs chefs, les shérifs.

LA POLICE MATERNE A Rasr Sudr, une voiture de police plante ses freins devant nos roues avant. Le James Bonde de service saute de son véhicule et me demande sèchement où nous allons. « Boire un thé! » Mais la réponse ne le satisfait pas. La police égyptienne nous materne. Sa mission l’ordonne de nous protéger: « Où allez-vous dormir? », menace-t-il presque, comme si nous étions des criminels, des espions ou des journalistes. Je hausse le ton.

De guerre lasse et devant notre refus obstiné de dormir dans deux hôtels bien trop chers, la douzaine de plantons se résigne enfin. Nous campons sur le terrain vague à côté du « central police station » comme l’appelle leur chef.

EVACUER MA COLERE Drôle d’Egypte où la formule « Welcome to Egypt! » que nous lancent mille fois par jour les Egyptiens prend un goût avarié… A peine couchés, une escouade de police rapplique et nous réveille maladroitement. Je me relève d’un bond et les aborde déterminé: « Je suis le général-manager du poste et je vous ordonne de quitter ce lieu sur le champ! »

Devant son intransigeance, je finis par l’insulter copieusement, profitant de son ignorance de la langue de Schakespeare pour évacuer ma colère et dormir enfin. Ses subordonnés outrés par mes paroles se retiennent de ricaner dans son dos. Il feint de ne pas comprendre, mais le ton de sa voix foudroie son honneur: il capitule!

MAUVAIS REVE Le lendemain matin à six heures pourtant, la relève revient à la charge: « Alors, on y va? » Nous sommes à peine levés et je les remballe vivement. Ils nous quittent mais n’abandonnent pas la partie pour autant. Nous déjeunons enfin et les mêmes reviennent comme dans un mauvais rêve. Le rond de cuir, plus précis qu’un Suisse, exhibe la montre à son poignet, peu rassurés par les voyageurs qui partent lorsqu’ils sont prêts et ne savent jamais d’avance où ils dormiront. « Quand? », lance-t-il faiblement. Je lui montre ma tartine et ils font à nouveau demi-tour.

Enfin en route, ils nous arrêtent encore: « Où allez-vous? » « A Sainte-Catherine! » Le policier fronce sincèrement les sourcils, car comme tous les Arabes, il vit au jour le jour. Lorsqu’on nous demande: « Où allez-vous? », c’est maintenant ou au plus tard aujourd’hui.

43 DEGRES Une chaleur accablante de 43 degrés nous plombe dans le canyon aux 12’000 palmiers de Feiran. Dans le gazon de la station-service, un chameau mâchonne un plastique méthodiquement. Un autre achève de dévorer un jeune acacia et s’enfuit d’un trot désordonné.. Comment donc digèrent-ils ces épines qui transpercent mes sandales et ce foutu plastique qui résiste au temps?

Un camion-citerne troué, sans capot ni pare-brise, imprime le bitume brûlant d’un mince filet d’eau: les wadis sont à sec et les pistes latérales, parsemées de bergeries, se meurent sur les contreforts de ce massif où des esclaves égyptiens travaillaient dans des mines de cuivre et de turquoise. Nathalie a peur de « se liquéfier » et nous nous reposons à l’ombre du premier refuge chrétien du Sinaï, une nonnerie située au milieu de plantations d’agrumes et de jasmin. La maison de Dieu est ici plus belle et plus solide que celle de l’homme.

Claude Marthaler, Al-Qusair, le 11 avril 2006, km 7716