Albanie #1: L’Enver du décor
Publié le 10/04/2025
Les stigmates de la période communiste ponctuent le paysage albanais. Des cheminées d’Elbasan où se trouve le Kombinati metalurgjik » Çeliku i Partisë » (le complexe métallurgique « l’acier du parti »), le plus vaste des Balkans, ne s’échappent plus de fumée. Je traverse un autre monde, presque disparu, déjà englouti d’un site repris par une compagnie turque, si bien que ruines et industrie en activité réduite s’entremêlent. Sur la terre noire souillée de charbon et de gravats tiennent encore debout de nombreux hangars désaffectés et usines en briques aux fenêtres ébréchées.
Ce complexe industriel fut implanté dans les années 60 et 70 par des ingénieurs et des spécialistes chinois avec l’aide de spécialistes albanais. Les chiffres font frémir: au cours de la construction, 2,5 millions de m3 de sols ont été déployés, 830 000 m3 de béton ont été coulés, 146 000 m3 d’éléments préfabriqués ont été préparés, 43 000 tonnes de constructions métalliques. Il y a eu 520 entités, liées par un réseau ferroviaire de 47 km de voie ferrée et de 22 km d’autoroutes. 12 000 travailleurs y furent affectés. Enver Hoxha surnomma cette vitrine de son idéologie dévastratrice: « La seconde libération »…
L’ombre du dictateur continue d’hanter la géographie physique, de miner l’économie et de tarauder les esprits.

Photo d’Enver Hoxha magnifié en Jésus (collection Mucem).

C’est lorsque cette architecture industrielle tombe en désuétude qu’elle commence paradoxalement à me toucher et à me fasciner. Elle m’évoque quelque peu faillite de la pensée d’un système qui broya ses habitants. Réduits au silence, les murs semblent parler à celui qui prend le temps de les regarder.



